Après Eric Brogniet (à propos de Marcel Sel), Armel Job nous propose un texte consacré au recueil de nouvelles Le père que tu n’auras pas de Luc Leens publié aux Editions Quadrature. L’ « Hospita-litté » s’ouvre ainsi une nouvelle fois à un auteur belge publié par un éditeur belge… Ce texte en est d’ailleurs la préface et un (stimulant) hommage au genre littéraire de la nouvelle. Armel JOB vient de publier Un père à soi, roman qui paraît comme (presque) l’ensemble de son oeuvre romanesque chez Robert Laffont. (Jean Jauniaux)
La vie est un recueil de nouvelles.
Personnellement, je ne lis jamais les préfaces. Vous non plus, je suppose. Je les enjambe et je passe illico à la première page du texte de l’auteur. L’auteur est bien assez grand pour dire ce qu’il a à dire sans qu’un radoteur l’introduise ou qu’il explique au lecteur comment il doit lire ce qu’il va lire. Donc, je laisse à Luc Leens le champ libre, indemne de mes inutiles élucubrations, et je fais confiance au lecteur. Il a déjà manifesté son intelligence en acquérant un livre de nouvelles.
Moi aussi, j’aime les nouvelles, surtout en recueil, parce qu’elles représentent peut-être la forme de littérature la plus proche de la vie. Et la vie, c’est justement ce que la littérature veut nous mettre sous le nez. Or comment nous apparaît-elle, la vie ? Est-ce une belle tapisserie, genre tapisserie de Bayeux, avec tous les épisodes brodés à la queue leu leu sur une magnifique toile qui se débobine de A à Z ? Pas du tout ! La vie est plutôt un fatras de lambeaux décousus dans lesquels il est pour ainsi dire impossible de trouver une suite logique.
Enfant, lorsque je demandais à ma grand-mère de me dire comment c’était autrefois, quand elle était jeune, elle me racontait quelques épisodes, toujours les mêmes. Le jour où les tanks américains avaient descendu la colline dans son village, le soir du grand feu de la Saint-Jean quand un jeune homme l’avait fait danser, qui deviendrait mon grand-père, la mort de sa sœur écrasée par un chauffard.
Notre existence, en effet, si nous tentons de nous la remémorer, ne nous apparaît que par fragments. Il ne nous en reste que des pièces détachées. Le surplus s’est abîmé dans une monotonie telle que nous aurions pu tout aussi bien en être absents. Du long convoi des jours qui nous séparent de notre naissance, quelques-uns seulement surnagent, çà et là, à la surface de la mémoire. Et c’est précisément avec ces rescapés qu’on écrit des nouvelles.
Les nouvelles collent avec la réalité de la vie. Si on en réunit quelques-unes, comme c’est le cas ici, le fait qu’elle nous emmènent du coq à l’âne n’est que l’expression supplémentaire d’une vérité existentielle : la vie avance à hue et à dia.
Le roman, en revanche, voudrait nous faire croire qu’il y a un continuum dans les événements. Bien entendu, ce serait plus rassurant. Alors tout ce bric-à-brac, ça se tiendrait en définitive ? Nous savons bien que ce serait trop beau pour être vrai. La vie n’est pas un roman, c’est un recueil de nouvelles inattendues, tristes, merveilleuses, déconcertantes.
Finalement, vous l’avez lue, cette préface ? Assez perdu de temps ! Courez de ce pas rejoindre la plume talentueuse de Luc Leens ! Vous m’en direz des nouvelles.
© Armel Job