Pendant trois ans, souvent le dimanche, Anne-Catherine Chevalier est allée poser son objectif devant différentes familles et les a photographiées. En leur demandant de « prendre la pose », la photographe se place dans la tradition des anciennes photos de famille que l’on retrouve dans les albums du début du siècle passé, en noir et blanc, réalisées à une vitesse d’obturation tellement lente qu’elle obligeait le sujet à se figer. Nous étions loin des instantanés que nous faisions en argentique, plus loin encore des millions de clichés argentiques qui nous captent en toutes circonstances. Aux familles qu’elle photographie et qu’elle a réunis dans cet album surprenant, Chevalier a demandé de ne pas adopter le sourire traditionnel et convenu, de ne pas articuler le « cheeeeezz » que l’on sollicite pendant les réunions de famille. Elle obtient ainsi que les masques tombent, que dans le regard qui nous fixe sans vouloir séduire, dans le visage qui se fige sans fard, une vérité grave s’installe. Bien sûr, chacun de nous qui ouvre ce livre projettera sur ces photos, pour peu qu’il prenne le temps de vraiment les regarder, des sentiments, des émotions, une histoire qui n’auront été ni ressentis ni vécus par ces hommes, ces femmes, ces enfants qui nous fixent. Chaque individualité, captée par l’objectif, cesse d’être une personne en particulier, mais nous raconte un fragment d’universel. A tel visage j’attribuais de la tristesse, à tel autre de la joie. Peu importe que cette tristesse et cette joie aient été ressenties par les sujets au moment de la prise de vue : l’image, dans la démarche que s’impose Chevalier, est autant un portrait qu’un reflet.
Nous avons rencontré Anne-Catherine Chevalier et lui avons demandé de nous raconter cette démarche singulière qui l’a conduite, après un album remarqué de portraits de « Mères et filles », d’explorer l’énigme de la famille dont chacune de nos lectures déchiffre avec émotion la complexité et l’étrangeté.
N’est-ce pas, à travers ces familles, un kaléidoscope de notre société que l’artiste nous donne à lire, stimulant à la fois l’interrogation et la curiosité, mais aussi appelant à ne pas juger.
Cet album publié chez aparté mérite d’être regardé, observé, à plusieurs reprises. Sa richesse ne s’épuise pas. Au contraire, chaque fois que vous arrêtez votre regard sur une des familles qui le composent, vous éprouverez un étrange sentiment de proximité, comme si par la photographie, l’artiste renouait les liens si fragiles d’une fraternité ancienne et essentielle.
Ne manquez pas ce livre auquel est jointe un court essai de la psychanalyste Diane Drory, qui qualifie la famille de « terre inconnue, à réinventer sans cesse ». Ne dit pas « inventer » pour « découvrir », lorsqu’il s’agit de trésors enfouis, de galions naufragés, de grottes magdaléniennes comme celle de [Lascaux->Pendant trois ans, souvent le dimanche, Anne-Catherine Chevalier est allée poser son objectif devant différentes familles et les a photographiées. En leur demandant de « prendre la pose », la photographe se place dans la tradition des anciennes photos de famille que l’on retrouve dans les albums du début du siècle passé, en noir et blanc, réalisées à une vitesse d’obturation tellement lente qu’elle obligeait le sujet à se figer. Nous étions loin des instantanés que nous faisions en argentique, plus loin encore des millions de clichés argentiques qui nous captent en toutes circonstances. Aux familles qu’elle photographie et qu’elle a réunis dans cet album surprenant, Chevalier a demandé de ne pas adopter le sourire traditionnel et convenu, de ne pas articuler le « cheeeeezz » que l’on sollicite pendant les réunions de famille. Elle obtient ainsi que les masques tombent, que dans le regard qui nous fixe sans vouloir séduire, dans le visage qui se fige sans fard, une vérité grave s’installe. Bien sûr, chacun de nous qui ouvre ce livre projettera sur ces photos, pour peu qu’il prenne le temps de vraiment les regarder, des sentiments, des émotions, une histoire qui n’auront été ni ressentis ni vécus par ces hommes, ces femmes, ces enfants qui nous fixent. Chaque individualité, captée par l’objectif, cesse d’être une personne en particulier, mais nous raconte un fragment d’universel. A tel visage j’attribuais de la tristesse, à tel autre de la joie. Peu importe que cette tristesse et cette joie aient été ressenties par les sujets au moment de la prise de vue : l’image, dans la démarche que s’impose Chevalier, est autant un portrait qu’un reflet. Nous avons rencontré Anne-Catherine Chevalier et lui avons demandé de nous raconter cette démarche singulière qui l’a conduite, après un album remarqué de portraits de « Mères et filles », d’explorer l’énigme de la famille dont chacune de nos lectures déchiffre avec émotion la complexité et l’étrangeté. N’est-ce pas, à travers ces familles, un kaléidoscope de notre société que l’artiste nous donne à lire, stimulant à la fois l’interrogation et la curiosité, mais aussi appelant à ne pas juger. Cet album publié chez aparté mérite d’être regardé, observé, à plusieurs reprises. Sa richesse ne s’épuise pas. Au contraire, chaque fois que vous arrêtez votre regard sur une des familles qui le composent, vous éprouverez un étrange sentiment de proximité, comme si par la photographie, l’artiste renouait les liens si fragiles d’une fraternité ancienne et essentielle. Ne manquez pas ce livre auquel est jointe un court essai de la psychanalyste Diane Drory, qui qualifie la famille de « terre inconnue, à réinventer sans cesse ». Ne dit-on pas « inventer » pour « découvrir », lorsqu’il s’agit de trésors enfouis, de galions naufragés, de sites archéologiques ?
N’allons-nous pas, à travers ces photos, ré-inventer, re-découvrir, re-connaître notre propre famille, donnant ainsi raison à la phrase de Nancy Huston placée en exergue du livre : « Nous ne tombons pas du ciel mais poussins sur un arbre généalogique » ?
C’est à cette expérience que nous sommes invités ici : à nous de nous y livrer !
Edmond Morrel, Bruxelles, le 18 décembre 2015