Dans le prolongement de sa chronique hebdomadaire, paraissant jusqu’à ce début de septembre 2011 dans les colonnes du journal « Le Soir », Jacques De Decker confiera dorénavant à Espace-livres.be les « marges » dans lesquelles il donne sa vision d’écrivain sur le cours du monde.
Cette première marge est consacrée aux attentats du 11 septembre 2001 sur le World Trade Center dont la mémoire est commémorée à l’occasion de ce dixième anniversaire. Vous avez ici la possibilité d’écouter le texte de la chronique et de la lire.
La lecture de ce texte se complète ici, dans la chambre d’écoute qu’est notre Espace-Livres, d’un commentaire de l’auteur sur les événements qui ont déterminé le choix de sa chronique, mais aussi d’un commentaire éclairant sur la difficulté de dire la complexité des choses. Une « marge » au carré en quelque sorte.
Edmond Morrel
La « marge » de jacques de decker : « nine eleven : la tache aveugle «
Il y a de cela dix ans, à la pointe de Manhattan, en quelque vingt minutes, le monde a été bouleversé de fond en comble, et irréversiblement.
Comparons avec le 14 juillet 1789 : une poignée de prisonniers, à la Bastille, constatent médusés que quelques centaines d’insurgés font le siège de leur prison. L’évènement, qui aujourd’hui serait rapidement rangé dans la catégorie des faits divers locaux, allait au fil du temps (et non dans l’immédiateté planétaire de la répercussion de l’attentat contre les tours jumelles), produire des ondes de choc dans l’ensemble du monde dit civilisé.
La Révolution s’ensuivrait, puis l’épopée napoléonienne, l’émergence des états-nations, leurs déchirements meurtriers, deux guerres mondiales, les mouvements de libération dans les territoires conquis par l’Occident, la rivalité des blocs, l’Amérique se targuant d’avoir pacifié l’Europe, la Russie se réclamant des idéaux d’égalité promus par les sans-culottes.
Et dire qu’il s’est trouvé, au lendemain du onze septembre, non seulement des sceptiques doutant de la véracité des faits, mais d’autres, qui n’imaginaient pas que rien ne serait plus comme avant ! L’ampleur du dommage, son lot de victimes, la forteresse agressée, celle de l’argent-roi, tant d’autres éléments permettaient pourtant de penser qu’un monde nouveau est effectivement né là sous nos yeux incrédules, parce que persuadés que de telles images ne pouvaient être que de fiction.
Or, si les auteurs de ce « premier chef-d’œuvre du XXIè siècle », selon l’expression controversée de Stockhausen, s’étaient effectivement emparés d’un thème cher à l’industrie américaine du spectacle, c’était pour transposer celui de la tour infernale dans le réel. Un emprunt esthétique transformé en événement historique à l’échelle de la mégalomanie fantasmatique d’Hollywood.
La littérature (Jonathan Safran Foer, Don Delillo, une kyrielle d’autres, en France aussi, avec le navrant Beigbeder et le plus décoiffant Moix dans « Partouz ») s’est évidemment emparée de ce qui est devenu un passage obligé du romanesque. Mais elle se cantonne surtout dans l’évocation des conséquences, ne tente pas de débusquer les causes. Il est sans doute trop tôt pour que la pensée occidentale se débarrasse de ses tabous et perçoive la logique de l’autre.
Pour en revenir à la Révolution française, n’a-t-il pas fallu attendre 85 ans pour que Victor Hugo en tire, avec « Quatre-Vingt-Treize », la matière d’un roman ?
Jacques De Decker