« Sollers toujours fringant »

« Il y a plus de cinquante ans que Philippe Sollers hante les lettres françaises. Cinquante-trois ans très précisément, puis qu’en novembre 1958 « Une curieuse solitude », faisait s’extasier avec un curieux ensemble François Mauriac et Louis Aragon, deux papes littéraires situés, on l’admettra, à une respectable distance l’un de l’autre. L’auteur du « Nœud de vipères » s’était reconnu un parent dans ce jeune bourgeois bordelais, ce concitoyen en somme, qui conquérait Paris par la plume. Aragon, lui, avait une tête chercheuse d’une rare pertinence et qui lui fit débusquer, souvent dans les colonnes de ses tant regrettées « Lettres Françaises », une multitudes de talents de tous genres.

Ce qu’ils avaient pu repérer dans ce petit roman psychologique qui ne parlait de rien d’autre que de l’initiation d’un jeune homme de province par une bonne espagnole ? L’exergue du livre, signé Joubert, l’affirmait avec insolence : « Le plus beau des courages, celui d’être heureux ». Sollers avait vingt-trois ans, et Aragon, qui en avait trois plus, disait du jeune homme « le destin d’écrire est devant lui, comme une admirable prairie », et réduisait un peu la focale pour détailler son plaisir : « c’est que ce n’est pas tous les jours qu’un jeune homme se lève et parle si bien des femmes ». Il avait tout vu, Aragon.

Il avait anticipé aussi que le destin de l’auteur naissant « allait s’entourer de quelques criailleries ». Sollers n’allait pas y être pour rien. Il deviendrait l’un des agitateurs les plus obstinés de la république des lettres, au point même que, pour mieux brouiller les pistes, son personnage d’homme à l’imperméable inséparable de son porte-cigarette allait occulter, pour le grand public, l’écrivain majeur qu’il est, étudié dans toutes les facs de lettres du monde mais tenu à Paris pour une célébrité locale confondue avec le paysage.

Or, un demi-siècle après son irruption, Sollers crée encore, avec une égale alacrité, une même gourmandise, et dans les rails jamais désertés qu’annonçait son opus premier. Il parle toujours aussi bien des femmes – l’un de ses chefs-d’oeuvre, paru 25 ans après ses débuts, s’intitule d’ailleurs « Femmes » – et, surtout, selon la proclamation de Joubert, il célèbre toujours « le plus beau des courages, celui d’être heureux ».

« Trésor d’amour », paru il y a un an –autant dire, selon le calendrier des libraires, il y a une éternité : un nouveau Sollers est d’ailleurs annoncé chez Gallimard pour dans quelques semaines – est la quintessence de tout cela. Il y célèbre des fêtes vénitiennes en compagnie d’une jeune lettrée du nom de Minna et d’un confrère qui l’a précédé dans les extases italiennes, Stendhal. Il faut dire que Sollers a inventé un genre nouveau : le roman en forme de fugue essayistique. Il s’engage dans le sillage d’un autre artiste ou penseur, ce peut être Nietzsche, ce peut être Mozart, et s’en sert comme d’une moto derrière laquelle il pédale à toute allure, livrant ses réflexions sur le monde, la vie, l’époque, avec une verve qui frise l’ébriété. Cela en agace plus d’un, qui ne s’en cachent pas d’ailleurs, mais cela a de quoi en enchanter d’autres.

Et il se moque de leur nombre tout autant que le faisait Stendhal d’ailleurs, dont les fameux happy few sont à présent devenus légion. »

Jacques De Decker

Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes

Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69

Référence : NAXOS 8.572530