Ecoutez Sorj Chalandon au micro d’Edmond Morrel

Avec « Retour à Killybegs » Chalandon passe de l’autre côté du miroir de la trahison qu’il explorait dans son roman « Mon traître »

Ce roman bouleversant est le second versant d’un diptyque que Chalandon débuta en écrivant « Mon traître« . Dans celui-ci, l’écrivain raconte le point de vue de celui qui a été « trahi ». Cinq ans plus tard, il adopte celui du traître.

Le héros déchu, Tyrone Meehan, vieil homme usé, revient dans la maison de son enfance à Killybegs. Il y vient pour mourir : il sait qu’il va être exécuté. Il y vient aussi pour écrire, sur un cahier d’écolier, le cheminement du destin qui l’a conduit à trahir les siens.
Ce « retour » c’est aussi celui que le romancier effectue vers la trahison dont il a été l’objet, ainsi que tous les proches de « son traître ». Cet ami, dont il n’écrit pas le nom dans le roman, héros de l’IRA, icône et exemple des révolutionnaires républicains de l’Eire était en réalité un traître à la solde de l’ennemi Britannique.

Par la fiction romanesque, par l’écriture littéraire, Chalandon fait son travail de deuil.

Dans « Retour à Killybegs », il essaie de piéger la trahison, de la trahir à son tour pour déceler ce qui a conduit son ami à le trahir et , à travers lui, à trahir l’Histoire de l’Irlande dont on retrouve ici les épisodes les plus barbares de l’histoire contemporaine. Le lecteur est étreint d’émotion tant par ce qu’il découvre de l’homme Tyrone Meehan, que de ce qu’il apprend (ou ré-apprend) de l’Irlande. Dans ce double mouvement de l’individu vers le collectif, du vécu vers l’Histoire, le livre admirable de Chalandon puise ce qui lui permet de faire son deuil. Pour cela, il faut passer de l’autre côté du miroir, au-delà de toute apparence.

Ce livre est un des grands livres de cette rentrée.

Il fait une démonstration éclatante de la fonction de la littérature : bouleverser. C’est sans doute ce que Danièle Sallenave formulait dans « La vie éclaircie » : « la lecture nous convoque à un face à face douloureux avec notre condition.(..) Lire c’est une manière de donner son épaisseur et son sens au monde qui vous entoure. »

Ecoutez Sorj Chalandon nous raconter, gorge nouée par moments, ce qu’est ce livre pour lui. Ensuite, lisez « Retour à Killybegs ». Toutes affaires cessantes.

Edmond Morrel