Le prestigieux Prix littéraire Marcel Thiry a été attribué à Eric Piette que nous avions rencontré en mars à propos de son recueil « L’impossible nudité » paru au Taillis-Pré. Eric Piette avait déjà été couronné du Prix Nicole Houssa en 2012 pour un autre recueil « Voz » paru lui aussi au Taillis Pré.
Fondées en 1984 par le poète Yves Namur, les Editions Taillis-Pré s’inscrivent sous l’égide de la belle phrase d’Yves Bonnefoy : « La poésie moderne est loin de ses demeures possibles ».
Il n’est de poésie que dans la fragilité semble nous prévenir Eric Piette dès le titre sous lequel il a choisi de nous emmener de Braine-Le-Comte à Ostende, d’une nuit suicidaire, martelée par les trains de marchandises à cet instant où le poète écrit : « j’attends celle que j’aime » . Partout un mélancolique envahissement s’empare du poète dont seule l’écriture l’éloigne. Les noms des lieux jalonnent le voyage intérieur : Québec (« L’espoir ne veut plus rien dire »), Stragari (« le coeur est fragile »), Amsterdam (« les larmes me viennent »), Montréal (« dans ces rues un peu/ hagard je marchais sous la pluie »)… Les noms des poètes aussi apparaissent ça et là, comme autant de balises dans la nuit : Achille Chavée, Jacques Izoard, Dantinne, Blaise Cendrars (« Ô Blaise, sommes-nous ? »), Maurice Blanchot, Apollinaire, Jean-Claude Pirotte, Kenneth White …
Mais à chaque instant, l’écriture survient qui arrête le désespoir en le disant. Et puis, au détour d’un vers, se dévoile peut-être l’ambiguë identité de cette survie et de cette quête : « mère à jamais blessée de se taire/est-ce qu’un soir je parlerai pour toi/est-ce que je mettrai les mots sur la béance/partagée/dans le noir où nous passons/ tous » . Survivre pour écrire ? Ecrire pour franchir la nuit ? Mais « en aura-t-on un soir terminé/ avec ce satané passé qui flotte/comme un noyé dans la Sambre » Ici avons-nous raison de songer encore à la mère, celle du peintre Magritte dont le suicide n’a cessé de le dévisager ?
Et puis, « l’impossible nudité », est-elle cette voie inaccessible de la poésie, cette voix sans issue qui conduirait le poète à renoncer à l’écriture ? « peut-être devrais-je écrire en prose/ou pas du tout… »
Mais alors ce serait « noircir sans métaphore »…
Le poète survivrait-il à cette absence ? Comment parlera-t-il alors pour cette mère évoquée plus haut ? Et cette mère n’est-elle pas, pour nous lecteurs, métaphore ? Métaphore de la poésie…
Nous avons rencontré Eric Piette à Bruxelles et lui avons demandé de lire un poème de « L’impossible nudité » ainsi qu’un poème inédit, composé en hommage à Jean-Luc Wauthier, décédé le 15 mars 2015.
Edmond Morrel , Bruxelles le 26 mars 2015 et Mons le 22 novembre 2015
Présentation de l’éditeur « Le Taillis Pré »
« Les éditions du Taillis Pré, fondées en 1984 par le poète Yves Namur, ont d’emblée affiché une politique éditoriale résolument tournée vers les auteurs du monde entier. Ainsi peut-on trouver au catalogue des poètes comme Roberto Juarroz, Antonio Ramos Rosa, Salah Stétié, Israël Eliraz, Nuno Judice ou E. E. Cummings pour n’en citer que quelques-uns. Une douzaine de titres paraissent ainsi chaque année au rang desquels figurent également les meilleurs poètes de Belgique : Gaspard Hons, Jacques Izoard, Fernand Verhesen, Michel Lambiotte, André Miguel, Eric Brogniet, Liliane Wouters, Philippe Jones, etc.
La collection « Ha » présente quant à elle un panorama des poètes belges dont les œuvres sont importantes mais peu connues voire introuvables. On y découvre ainsi les noms de Françoise Delcarte, Ernest Delève, Frans Moreau, Pierre Della Faille, Jean Dypréau et Robert Guiette. Cette collection publie généralement l’œuvre complète du poète dont il est question.
Le Taillis Pré entend donner voix aux mots du poète Yves Bonnefoy : « La poésie moderne est loin de ses demeures possibles. » C’est là sa raison d’être. »