Le covid a du bon finalement. Non seulement il a permis à Francis Groff de se consacrer à une nouvelle enquête de son personnage fétiche, bouquiniste parisien originaire de Charleroi au nom arménien, mais en plus, à ce dernier, le bien nommé Stanislas Barberian d’être invité à élucider un crime commis entre deux confinements sanitaires, dans le milieu des « reconstiteurs » de la bataille de Waterloo. Tous les ingrédients sont donc réunis pour ajouter à la collection « Noir Corbeau » – qui devient une référence dans le genre – un nouveau volume sous couverture noir et jaune, une collection imaginée et dirigée par Christian Libens et dont les récits sont placés sous le regard averti d’un vrai commissaire (en retraite), François Périlleux. Faut-il rappeler que cette collection s’inscrit dans le catalogue des Editions Weyrich dont, malgré l’incendie qui a détruit le stock il y a quelques semaines, le dynamisme, la curiosité et l’énergie éditoriale n’ont jamais été pris en défaut.
Rien n’est plus ardu que de rendre compte d’un roman dont on ne peut, au risque de le « spoiler », raconter l’intrigue, les fausses pistes, les indices et, finalement, la découverte du coupable. Le crime? Un assassinat perpétré avec une violence inouïe sur la personne de Charles-Damien Passerau lors d’une reconstitution historique d’un bivouac sur le champ de bataille de Waterloo, ou plus exactement de Braine-l’Alleud. La mère du malheureux « CHD », comme l’appellent ses amis, a fait appel à Martine, la maîtresse de Barbérian, pour qu’elle convainque le détective amateur d’aider la police locale à dénouer cette sanglante affaire. On reconnaît ici le fil narratif qui et la marque de fabrique de Groff: un bouquiniste amateur, devenu personnage récurrent, est appelé dans différents lieux de Wallonie (avec un W comme Weyrich) pour apporter un regard neuf sur les crimes non résolus auxquels il se confronte à Namur, Charleroi, Binche et , aujourd’hui, Braine-L’Alleud. Ce dernier livre permet au romancier, comme il l’a fait pour les ouvrages précédents, de situer l’environnement historique, culturel, voire linguistique des événements qu’il narre. Et cela n’enlève rien, heureusement, au suspens, ingrédient indispensable de la littérature policière à énigme, aux rebondissements et révélations successives qui conduisent Barbérian à identifier le coupable. Autres éléments récurrents de la narration, que le lecteur a grand plaisir à retrouver comme de ces habitudes que l’on aime partager avec « nos » personnages: la compagne aimante, Martine (elle aussi bouquiniste), la Facel Vega, le goût des bières trappistes…
Nous l’avons dit déjà à différentes reprises, au fil des précédents volumes des enquêtes de Barbérian et des rencontres avec son auteur, et ce livre nous le confirme: Groff a réussi à inventer une figure emblématique dans ce genre si familier mais si difficile à réussir du policier à énigme. Il s’inscrit ainsi dans la lignée des Christie et Doyle, mais en y ajoutant cette espièglerie belge qui fait de chacun de ses romans un bonheur de lecture. Un jour, il faudra sérieusement songer à adapter les enquêtes de Stanislas en série ou pourquoi pas, pour commencer, en dramatique radio…à la manière des reconstituions mises en onde par Théo Fleischman ou Roger Simons (dont on aimerait pouvoir réécouter la série « Waterloo », diffusée naguère à le RTBF, radio publique…
Au fil des romans, Morts sur la Sambre , Vade retro, Félicien, Orange Sanguine, Groff développe une maîtrise de plus en plus assurée des codes du genre, mais, surtout, il nourrit ses personnages récurrents d’une personnalité véritablement romanesque, ajoutant cette part d’humanité qui nous les rend davantage attachants à chaque nouvelle enquête .
Enfin pouvons-nous suggérer à l’auteur quelques lieux emblématiques où Barbérian pourrait aller prêter main forte à la maréchaussée: Ecaussinnes par exemple… mais aussi, proposer à notre belge-parisien une incartade en Flandres, à saint-Idesbald par exemple…
Jean Jauniaux le 15 mai 2021.
Nous avons interviewé Francis Groff, une occasion d’évoquer avec lui sa méthode de travail, la construction des personnages, mais aussi de partager à propos de différentes personnalités qui jalonnent son récit et le parcours de Stanislas Barbérian dans le cossu Brabant wallon. Citons, parmi d’autres, Marc Aryan (qui recevait dans son studio privé des artistes de l’envergure de Marvin Gaye ou Nina Simone et d’autres. Le fameux Born to be alive de Patrick Hernandez a été enregistré à Ohain dans le studio Katy de Marc Aryan!; mais aussi Arlette Vincent, Edgar P.Jacobs et le fondateur de la radio belge Théo Fleischman, passionné de Napoléon et de la bataille de Waterloo dont il contribua à préserver le site et les espaces muséaux… On lui doit la création du premier journal parlé, des reportages et des pièces radiophoniques, dont une série mémorable consacrée à la bataille de Waterloo qui fut mise en ondes par Roger Simons.