Le quarantième anniversaire des Éditions La Pierre d’Alun, créée et dirigée par une des figures les plus originales de la création artistique et littéraire en Belgique francophone, Jean Marchetti) nous vaut une édition jubilaire d’un recueil composé pour l’occasion et diffusé notamment dans le cadre d’une exposition à la Bibliothèque Wittockiana, mais aussi l’évocation des volumes de récits brefs confiés à quelques belles signatures des lettres belges francophones et ornés d’illustrations que Jean Marchetti a spécialement choisies pour chacun des volumes qui constituent une des quatre collections de l’éditeur, La petite Pierre..
Nous reviendrons bien vite sur quelques uns des autres titres parus dans cette collection aussi singulière que bienvenue dans l’édition de textes courts ornés d’illustrations originales. Sans être exhaustifs, citons quelques binômes écrivains-artistes déjà parus: Armel Job/ Benjamin Monti (avec un florilège savoureux des Souvenirs de ma tante Esther), Marcel Lecomte/Pat Andrea, Pascale Fonteneau/Kiki Crèvecoeur, Jean-Luc et Simon Outers, Caroline Lamarche/Emelyne Duval,André Stas/Benjamin Monti…etc.
Quant à Jean Marchetti, – rencontré à plusieurs reprises lors d’interviews toujours disponibles sur notre site (par exemple celui-ci )- , galeriste, coiffeur et éditeur, il fait l’objet d’une exposition à ne pas manquer dans ce lieu exceptionnel qu’est la Wittockiana. Un catalogue qui ne manquera pas de devenir un « collector » vient d’y être publié. « Il reprendra cinquante-huit titres dans les quatre collections de 2011 à 2023. De nombreux témoignages accompagnent ce volume, dont ceux de Pierre Alechinsky, Kiki Crêvecoeur, Amélie Nothomb, Léon Wuidar et bien d’autres. »…nous précise le site de la Wittockiana.
Nous venons de lire la fable Ultime passion dont nous a régalé par sa férocité ironique le dramaturge Paul Emond. Dans un pays imaginaire, un ministre de la Culture se laisse emporter dans un rêve-cauchemar où, selon son voeu secret, les subsides seraient supprimés au profit d’investissements beaucoup plus rentables dans la restauration virtuelle des grandes œuvres du passé (songeons à ce que deviendraient ainsi « subtilement épurées de leurs surcharges d’anges et autres bizarreries » les œuvres de Giambattista Tiepolo) , ou dans l’usage de l’intelligence artificielle pour la réédition de la Recherche du temps perdu « nettoyée de ses multiples scories et correctement ponctuée. (…) »
Dans son cauchemar le Ministre ne s’exclame-t-il pas « Foin de ces phrases interminables dans le labyrinthe desquelles on se perdait ! ». Le rêve du Ministre est à ce point agité qu’il tombe de son lit, après « s’être envolé sur un char glorieux tiré par de vigoureux étalons, tandis qu’un concert de buccins et de trompettes saluait son ascension. » Nous ne dirons pas ici les remords de conscience qui assaillirent le Ministre de la Culture avant son trépas, après la traversée d’un ciel peuplé d’anges déçus et incorruptibles qui lui barraient l’envol vers une béatitude tant convoitée et si peu méritée.
La lecture de cette Ultime passion, ornée de gravures du peintre Léon Wuidar, choisi sans doute pour le contraste entre l’abstraction de son œuvre et l’exubérance de Tiepolo, ne peut se faire sans cette jubilation salutaire qui, à n’en pas douter, présida à l’écriture de cette « fantaisie » dans laquelle la férocité de l’observation est bien moins onirique qu’il n’y paraît.
Jean Jauniaux, le 9 décembre 2023