« Hospita-litté » (4). La chroniqueuse Béatrice Feron, membre du jury du Prix Horizon, à propos du roman « Over the rainbow » de Constance Joly, lauréate de l’édition 2022 du Prix du deuxième roman…

Dans le cadre de la rubrique « Hospita-Litté » Béatrice Feron nous propose une recension du roman, lauréat de l’édition 2022 du prix littéraire Horizon du deuxième roman : Over the rainbow   de Constance Joly. C’est à Marche, le 25 mai dernier que le créateur et président du Prix Horizon, le romancier Armel Job,  a dévoilé le palmarès de cette sixième édition d’un prix devenu une référence dans le monde des lettres francophones. Jean Jauniaux, le 2 juillet 2022.

« L’âme n’aurait pas d’arc-en-ciel si les yeux n’avaient pas de larmes. » (John Vance Cheney)

Constance vient d’accoucher. Elle est très fière de sa petite fille et repense à Justine, son amie d’adolescence. Cela fait bien dix ans qu’elles ne se sont pas vues. C’est l’occasion. Constance l’invite et déchante immédiatement. Elle n’a plus rien de commun avec cette femme qui jacasse dans le vide et se moque de tout ce qu’elle voit. Enfin, la voilà qui se dirige vers la sortie. C’est alors, la main sur la porte, qu’elle demande des nouvelles du père de Constance. Quoi ? C’est une plaisanterie ? Jacques est décédé cinq ans pus tôt. Ah oui. C’est vrai. « Il fait partie des vieux homos qui sont morts les premiers. » Quand Justine s’engouffre dans l’ascenseur, Constance reste là hébétée, tremblante.

C’est le déclic qui lui donne envie de rendre hommage à cet homme parti trop vite. Il lui faudra du temps pour mener à bien ce projet qui lui semble vital. « J’écris pour ne pas tourner la page. J’écris pour inverser le cours du temps. J’écris pour ne pas te perdre pour toujours. J’écris pour rester ton enfant. »

En lisant le titre du beau roman de Constance Joly, je me surprends à fredonner silencieusement la mélodie du « Magicien d’Oz ». Mais en parcourant la quatrième de couverture, on sent son sourire « qui tourne à l’eau et qui chavire » (comme le chantait Serge Reggiani). En effet, en deux lignes, on apprend que la réalité sera terrible. Cet arc-en-ciel est aussi celui choisi pour représenter le mouvement LGBT+, puisque Jacques devra assumer son homosexualité à une époque où celle-ci était « encore répertoriée comme une maladie mentale (…) un délit passible de prison. » Il sera aussi un des premiers à mourir du SIDA, ce mal qu’on ne connaissait pas encore alors.

Et pourtant, tout comme l’arc-en-ciel naît après la pluie pour célébrer le retour du soleil, cette histoire sera aussi un grand cri d’amour adressé par Constance à son père. Car l’auteure a choisi de donner à ses personnages les noms réels des personnes qu’ils représentent. Pour l’écrire, elle se base sur ses souvenirs, des albums de photos, de vieux films aux couleurs fanées. Et elle transforme cette vie en roman, comme une « menteuse. La menteuse. Celle qui comble les vides, synchronise gestes et paroles. Celle qui rejoue le passé. »

Ce n’est que vingt ans après la disparition de Jacques que Constance se lance. Le signal de départ, ce sont les mots odieux de cette soi-disant amie. Non. Il ne faut pas que d’autres pensent comme elle. Aussi, Constance Joly va-t-elle commencer à édifier une sorte de tombeau littéraire pour cet homme qu’elle a tant aimé, mais auquel elle a si peu et si mal exprimé son amour.

On dirait qu’elle a pris le parti de découper sa vie en tranches extrêmement fines, qu’elle nous livre dans des chapitres dont la plupart n’excèdent pas deux pages et dans lesquels elle s’adresse en « tu » à son père, parfois à elle-même, sans obligatoirement respecter l’ordre chronologique. Chacun met en lumière de petits moments du passé : la barbe à papa, le jour où elle ouvre la portière, Place de la Concorde, l’histoire des deux souris…

Ainsi, le lecteur pénètre à sa suite dans un univers de grands bourgeois bien pensants, découvrant avec horreur que leur fils cadet est non seulement au lit avec un garçon, mais qu’en plus celui-ci est… noir ! A leurs yeux, deux péchés intolérables. Suit une scène très choquante où ils réunissent un conseil de famille, comme un tribunal, pour juger le paria. Et obligent l’aîné à prononcer une sentence contre Bertrand, alors qu’au fond de lui, il se sent pareil. C’est donc pour obéir à leurs lois que Jacques s’estime contraint de rester dans le rang, de se marier, de fonder une famille.

Jacques et Lucie, les parents de Constance, sont très cultivés. Il donne des conférences un peu partout, elle enseigne à la Sorbonne. La fillette aura ainsi la chance de baigner dans un univers littéraire, musical, pictural. Jacques aime l’art. Il collectionne les tableaux, il emmène sa fille visiter des expositions. Ils regardent de vieux films, surtout des comédies musicales que Jacques affectionne.

De temps en temps, Constance Joly glisse un poème :

« Ça ne fait pas de bruit/Le ciel d’été frissonnant/D’étoiles lourdes prêtes à tomber/Sur nos paupières »

Elle énumère, comme une complainte anaphorique, une longue liste de particularités qui, prises isolément, sont insignifiantes, mais, groupées, dessinent un émouvant portrait de son père : « Qui se souviendra de tes étagères en cuivre remplies de DVD, d’éditions de poche avec papier cristal (…) De tes babouches jaunes glissant sur le parquet. De ton adoration pour les comédies musicales (…) de ta façon de chanter « Somewhere over the rainbow » ».

Un coup de cœur.

Béatrice Feron

Over the rainbow de Constance Joly, Editions Flammarion, 192 pages ISBN : 9782081518650

Béatrice Feron, membre du jury de sélection du Prix Horizon, est également responsable, en amont de celui-ci, du repérage des deuxièmes romans dans les programmes de parution des maisons d’édition francophones. Elle est également « blogueuse » littéraire, critique régulière sur BABELIO et, bien sûr, passionnée de littérature.

Sur le site de l’éditeur Flammarion:

Celle qui raconte cette histoire, c’est sa fille, Constance. Le père, c’est Jacques, jeune professeur d’italien passionné, qui aime l’opéra, la littérature et les antiquaires. Ce qu’il trouve en fuyant Nice en 1968 pour se mêler à l’effervescence parisienne, c’est la force d’être enfin lui-même, de se laisser aller à son désir pour les hommes. Il est parmi les premiers à mourir du sida au début des années 1990, elle est l’une des premières enfants à vivre en partie avec un couple d’hommes.

Over the Rainbow est le roman d’un amour lointain mais toujours fiévreux, l’amour d’une fille grandie qui saisit de quel bois elle est faite : du bois de la liberté, celui d’être soi contre vents et marées.