Quand mon père est revenu (de Chine) j’avais sept ans. C’était en 1950. Le père d’Anne Rothschild, diplomate belge, a été en mission en Chine de 1944 à 1950. En septembre 2018, la poète est allée à la découverte de ce lieu paré de mille parfums et mille couleurs. Elle nous revient avec un livre émerveillé de cette initiation à rebours, dont la destination est peut-être d’insuffler le souffle du merveilleux dans la banalité du réel . Le défi est là, après plusieurs décennies, de confronter la Chine d’aujourd’hui à celle, imaginée par l’enfant songeant à Papa-qui-était-en Chine.
Et cet affrontement nous vaut une succession de chapitres courts, alternant avec de brefs poèmes, dont les italiques nous indiquent qu’ils appartiennent à cette vibration singulière de la langue poétique, hors du temps du voyage mais issus de celui-ci. Comme si le poème était cet éclat de lumière qui sert de marque-page au lecteur, comme cette évocation de L’horloge sans aiguille d’une gare abandonnée qui déclenche l’évocation que seule permet la phrase poétique des Douces images échappées de la patience des jours.
Mais la poésie est omniprésente. Anne Rothschild, à la manière d’un aquarelliste, capte l’essentiel d’une lumière, d’un souffle d’eau, de l’ombre d’une brume pour nous la donner à ressentir. L’auteure témoigne aussi du quotidien moderne de la Chine dont elle est le témoin au fil des étapes du voyage. Sans doute a-t-elle trouvé dans son cheminement singulier vers l’essentiel, ce qui lui fait écrire comme une épitaphe, Alors je serai là-bas, je serai ici. Ne formule-t-elle pas ainsi, d’une certaine manière, les rêveries enfantines qui la transportaient naguère auprès de son père?
Le livre s’achève par une série de références, reliant la poète à l’Histoire, et à ses protagonistes que côtoya son père (comme Chou En Lai qu’il évoqua dans un livre La chute de Tchang Kai-shek (Fayard, 1972) ou ses cheminements légendaires comme La route du thé et des chevaux.
Yves Namur qui avait déjà inscrit au catalogue de sa maison d’édition le recueil Nous avons tant voyagé, offre à celui-ci un prolongement bienvenu vers la Chine d’aujourd’hui, en nous emmenant Au pays des osmanthus, où la modernité souvent accable le souvenir qui n’était qu’imaginaire enfantin. Car c’est aussi de cela que témoigne le livre comme l’écrit d’emblée la voyageuse: en observant ces lieux dans lesquels mon imaginaire s’est transporté tant de fois, une tristesse indéfinissable serre mon coeur. Est-ce un retour vers l’impossible?
Une fois la lecture achevée, il nous vient l’envie de retourner en arrière, au hasard des pages, d’aller relire l’un ou l’autre fragment de ce recueil, mais aussi de songer que de cette Chine nous avons tous, un jour ou l’autre, rêvé.
Jean Jauniaux, le 15 février 2021
A propos d’Anne Rothschild sur son site:
Née à New-York en 1943, de double nationalité belge et suisse, Anne Rothschild allie l’écriture à un travail de graveur, de peintre et de sculpteur. Elle expose régulièrement en France et à l’étranger, et publie des ouvrages de poésie. Elle a créé et dirigé pendant dix ans le service éducatif du musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris. Son travail est axé sur la rencontre avec l’autre, et invite à construire un espace de paix entre juifs, chrétiens et musulmans. Aujourd’hui, elle vit dans le Gard.