« Oubliez-moi » , la biographie de Qian Xiuling, une Chinoise qui a sauvé, à Ecaussinnes, 110 otages pris au piège de la Gestapo pendant l’Occupation.

Voici un des livres les plus étonnants figurant au catalogue des Editions MEO, souvent évoquées ici pour le travail remarquable mené en littérature belge.

« Oubliez-moi » c’est tout autre chose. Ce récit, paru originalement aux Editions Yilin Press (une des grandes maisons d’édition en Chine dont je vous laisse deviner le tirage moyen des livres…), est signé de l’écrivain Xu Feng. La parution de ce livre a éveillé en moi de multiples souvenirs des histoires que l’on racontait à Ecaussinnes: comment une Chinoise a-t-elle pu convaincre le gouverneur militaire de Belgique, le général nazi Von Falkenhausen de gracier les otages que la Gestapo avait arrêté au lendemain d’un attentat mené par la résistance contre l’occupant.

Voici une des histoires que le public francophone peut dorénavant découvrir grâce à l’infatigable éditeur qu’est Gérard Adam qui résume ici ce livre et ce destin hors norme. Le livre, disponible dans toutes les librairies et sur le site de MEO, sera aussi en vente au Salon des littératures singulières » :

Née en 1912 dans une famille de propriétaires terriens, aisés sans être
fortunés, de la province chinoise de Jiangsu, Qian Xiuling montre tôt de
grandes dispositions pour l’étude. Admiratrice de Marie Curie, elle parvient à convaincre son père de l’envoyer étudier à l’étranger. Celui-ci accepte le sacrifice de l’envoyer à Louvain, parce que le fils d’un ami, qu’on lui destine pour époux depuis sa naissance, y étudie. Qian Xiuling quitte donc la Chine à l’âge de 17 ans. Féministe avant la lettre, elle rompt aussitôt avec ce fiancé qu’elle n’avait jamais vu et qui ne lui plaît pas. Étudiante brillante, elle va obtenir un double doctorat en physique et chimie et épouser un médecin belge d’origine gréco-russe, Grégoire de Perlinghi. L’invasion japonaise coupe court à leur projet de s’établir en Chine. Ils s’installent à Herbeumont, où la guerre les surprend.
Suite à une action de sabotage, Qian Xiuling, risquant elle-même d’être prise pour une «terroriste», va sauver la vie de résistants du village en allant plaider leur cause auprès du général von Falkenhausen, gouverneur militaire de la Belgique. Celui-ci, en effet, a bien connu un de ses cousins, général du Kuomintang. Elle fera de même plus tard en sauvant la vie de plus de 100 otages d’Écaussinnes. Décorée à la Libération, faite citoyenne d’honneur d’Écaussinnes, devenue enfin assistante à l’université de Louvain, elle va quitter son emploi et risquer sa réputation pour défendre Von Falkenhausen devant le Conseil de Guerre, lui évitant la condamnation à mort.
Qian Xiuling ne connaîtra jamais la carrière scientifique qu’elle ambitionnait, mais elle ouvrira bientôt et dirigera jusqu’à sa mort en 2008 le plus prestigieux restaurant gastronomique chinois de Bruxelles, La Fontaine de Jade. Elle retournera en Chine à plusieurs reprises et fera venir en Belgique plusieurs membres de sa famille.
Son histoire sera portée à l’écran par la télévision chinoise dans une série à succès tournée à Écaussinnes, avec la participation de la population. Hélas très romancée, celle-ci prend de nombreuses libertés avec la vérité historique, idéalisant une héroïne qui n’en demandait pas tant et passant notamment sous silence le rôle de son cousin. Un documentaire télévisé lui sera également consacré en Belgique par sa petite-fille, et un roman chinois la prendra pour personnage.
Xu Feng, écrivain bien connu en Chine, auteur d’une vingtaine de romans et de biographies, titulaire de nombreux prix, s’est attaché durant une quinzaine d’années à restituer la vie et la personnalité remarquables de cette « Schindler sino-belge » en les décapant de la légende romanesque qui les enveloppait. Une femme qui a toujours affirmé n’avoir accompli aucun acte extraordinaire, et qui a toujours demandé qu’on veuille bien l’oublier.
Kevin Henry, professeur de chinois à l’Université de Mons, nous en donne ici une très belle traduction.

Suzanne, la propriétaire du Cinéma Le Royal à Ecaussinnes était intarissable sur l’épisode chinois tel qu’elle en a conservé le souvenir d’enfance, mais aussi le souvenir du tournage de cette série à succès dont l’équipe de production s’était installée au balcon de son cinéma désaffecté. Elle raconte ces anecdotes dans une interveiw ancienne que je retrouve dans mes archives et que je vous invite à écouter sur le site. Pour celles et ceux qui souhaiteraient visionner la série télévisée, des liens existent (de mauvais qualité) sur youtube…

Lisez ce livre…dont le « pitch » incroyable est devenu une des légendes du village d’où je viens, Ecaussinnes…

Jean Jauniaux