Le titre Raconter la nuit dévoile d’une certaine manière ce que peuvent signifier l’écriture littéraire et l’invention romanesque telles que la pratique François Emmanuel dans ses romans, ses recueils de nouvelles ou de poésie, ses pièces de théâtre. Comme l’indique Christophe Meurée, maître d’oeuvre d’une remarquable monographie (Le monde de François Emmanuel aux Editions des Archives et Musée de la Littérature) consacrée à l’auteur de La question humaine, « l’oeuvre de François Emmanuel est singulièrement cohérente. L’on y croise des figures humaines – presque trop humaines – qui exposent leur fragilité, l’énigme de leurs existences, leur capacité à en interroger sans relâche les limites et les points nodaux. » « Raconter la nuit » c’est affronter l’énigme de ce que nous sommes, de ce que nous sommes devenus; c’est aussi approcher l’autre à travers les personnages inventés sous la plume du romancier. La fiction c’est le « mentir-vrai », selon la formule d’Aragon. Dans le cas d’un romancier tel que François Emmanuel, la fiction pourrait aussi s’envisager comme une tentative, renouvelée à chaque livre, d’inventer des destins et d’en dérouler, comme des phrases, les complexités singulières. L’écriture de François Emmanuel est exigeante car elle doit s’insinuer dans les interstices les plus secrets des êtres qu’il invente, dans l’entrelacement de l’histoire et de l’Histoire dont chacun chacune d’entre nous sommes les protagonistes. Dans Raconter la nuit le narrateur explore son passé au prétexte d’un livre à écrire à propos des êtres rencontrés alors, un amour d’adolescence, sa soeur jumelle, leur père artiste en quête inaboutie. Cette recherche conduit Pierre dans d’autres nuits à traverser, la guerre notamment, celle de Bosnie-Herzégovine et le siège de Sarajevo dont le romancier parvient à réveiller les images les plus poignantes.
Raconter la nuit et Le monde de François Emmanuel sont deux livres qui se complètent et se nourrissent. Dans le second, grâce aux textes particulièrement inspirés de Christophe Meurée, François-Xavier Lavenne, Philippe Lekeuche, Myriam Watthee-Delmotte et d’autres, le lecteur se voit offrir une grille de lecture, nourrie par de riches entretiens avec le romancier, qui éclaire d’une certaine manière, polyphonique, cette « nuit » qu’au fil des oeuvres, l’écrivain ne cesse d’explorer, de raconter, de faire ressentir. Ecrire l’émotion, est le constant travail de cet artisan des lettres.
Jean Jauniaux, le 17 février 2022.
Nous avons rencontré François Emmanuel par le biais de « ZOOM »:
Sur le site des Éditions du Seuil:
Critique d’art, le narrateur est invité dans une villa au bord de l’Atlantique, habitée par des sœurs jumelles, Vera et Jelena. Toutes les pièces sont encombrées par les tableaux exécutés par leur père disparu, Jero Mitsić.
Est-ce pour écrire sur l’œuvre du peintre que Vera l’a convié ? Lui demande-t-elle de l’aider à solder un héritage trouble ? Ou cela concerne-t-il sa sœur Jelena qui erre dans la maison comme une ombre ?
Car le temps pour Jelena semble s’être arrêté, par moments elle paraît possédée par une autre.
À son contact, le narrateur s’enfonce peu à peu dans un amour sans mesure, une intimité folle où Jelena voudrait qu’il descende avec elle dans sa mémoire barrée, qu’il l’accompagne vers ce qui fut pour elle le lieu de l’effroi, qu’il trouve les mots manquants, qu’il raconte la nuit.
François Emmanuel vit en Belgique. Il est l’auteur de nombreux romans, dont La Passion Savinsen (Stock, 1998, lauréat du prix Rossel), La Question humaine (Stock, 2000), Regarde la vague (Seuil, 2007), Jours de tremblement (Seuil, 2010) ou Les Murmurantes (Seuil, 2013).