« haro sur l’europe »
Le plus récent pamphlet contre l’union européenne est dû à un des intellectuels allemands les plus éclairés et les plus influents, Hans Magnus Enzensberger. S’il ne jouit pas de la notoriété d’un Grass ou d’un Siegfried Lenz, par exemple, c’est que son œuvre ne répond aux canons de la littérature de large circulation. Il mélange les genres comme en se jouant, navigue entre l’essai et la poésie, comme dans son Naufrage du Titanic qui s’est d’ailleurs aussi fort bien prêté à la transposition théâtrale, il ne dissimule pas, lorsqu’il s’approche du roman comme dans Hammerstein ou l’intransigeance, son travail de documentation, faisant de ce portrait d’un officier supérieur adversaire d’Hitler, mais fidèle à ses engagements militaires, une fresque historique d’une percée psychologique comparable aux plus subtiles analyses romanesques.
Le même Enzensberger, lauréat du prix Jean Monnet 2010, s’est donc penché sur le phénomène politique singulier qu’est l’union européenne. Sous le titre faussement rassurant de « Le doux monstre de Bruxelles ou l’Europe sous tutelle », il lance quelques banderilles vers une institution dont il critique l’impuissance à créer une identité commune, l’incapacité à rendre sa politique transparente, la régie réglementaire portant sur des détails et, surtout, c’est l’élément clé de son réquisitoire, le déficit démocratique.
Tout cela écrit avec le raffinement qu’on lui connaît, Enzensberger étant l’un des meilleurs stylistes de sa langue, un sens heureux de la formule et une alacrité indéniable. En même temps, le livre distille une sorte de malaise, surtout lorsqu’il paraît en édition française, quoique la traduction de Bernard Lortholary soit au-dessus de tout reproche. On a l’impression d’un film doublé, qu’un Allemand insatisfait nous parle dans la langue de Voltaire.
On dira : mais cette impression ne confirme-t-elle pas les dires de l’auteur, ne démontre-t-elle pas que l’Europe est, de fait, un puzzle qui n’arrive pas à s’agencer ? Certes, et s’il est une entreprise qui peut prêter le flanc au scepticisme, c’est bien celle-là. D’ailleurs, le mot « eurosceptique « existe, alors qu’on n’a même pas forgé le terme de belgosceptique, qui aurait cependant quelques raisons d’être.
La gêne demeure, cependant. Elle est due à deux facteurs majeurs. D’abord, un manque de considération pour la complexité : l’Europe est un monstre, c’est entendu, parce qu’elle est informe, disgracieuse, telle une créature des grandes profondeurs à laquelle on préfère ne pas être confronté dans un aquarium voué aux espèces exotiques. Mais ne serait-elle pas comparable à Stephen Hawking, ce génie de la physique à qui l’on donnait, lorsque sa maladie s’est déclarée dans sa jeunesse, quelques années à vivre, et qui vient de fêter son 70ème anniversaire, fruit de sa volonté personnelle et de l’ingéniosité médicale et technologique.
La preuve de l’Europe, c’est qu’elle survit et qu’elle avance, sans effets de manche excessifs, et avec cette pondération que l’on professe surtout dans les antichambres diplomatiques. Elle a édifié une structure improbable sur les ruines d’un désastre continental, elle avance à pas prudents (comme lorsqu’elle tarde à tancer le président hongrois pour ses écarts à l’égard de ses grands principes), mais elle avance.
Il est regrettable qu’un grand esprit donne du grain à moudre aux récalcitrants du fond de la classe qui attendent impatiemment l’heure de la récré, où chacun ne pourra plus en faire qu’à sa tête. L’Europe est un travail de chaque jour, patient et acharné, le contraire d’un combat avec charge de cavalerie et panache ostentatoire. Quand viendra l’écrivain de talent qui saura dire en quoi consiste vraiment cette épopée grandiose et minimaliste, et qui préfigure une nouvelle vision de la politique, moins spectaculaire sans doute, mais tellement plus civilisée ?
Jacques De Decker
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530