Philosophe, chroniqueuse culturelle, Mazarine Pingeot est aussi (et surtout) romancière. Dans son dernier roman en date, elle explore les mécanismes troublants de la mémoire et, par ricochet, la manière dont la fiction romanesque peut en explorer les méandres. ici, il ne s’agit plus de la mémoire d’un vécu individuel, mais de la mémoire collective. Aujourd’hui, la mémoire de l’Histoire se nourrit d’images. Leur apparente objectivité n’est-elle pas insuffisante pour créer une véritable conscience de tragédies comme la Shoah ? La littérature n’a-t-elle pas un rôle à jouer dans le devoir de mémoire ? N’est-elle pas, en fin de compte, un instrument essentiel pour une transmission effective, de génération en génération, de la réalité de l’Histoire ?
En filigrane de ce roman émouvant, la romancière évoque ces questions qui nous tiennent dans un salutaire éveil.
Edmond Morrel
Sur le site de l’éditeur Julliard
Mazarine Pingeot ose un texte aussi violent que personnel ou elle met en scène un adolescent d’aujourd’hui, dévasté par la découverte de la Shoah.
C’est l’histoire d’un garçon hanté par la Shoah. Pourtant, ni lui ni sa famille n’ont été touchés par le génocide. Mais enfant, il a vu à la télévision des images qu’il n’aurait pas dû voir – le cauchemar trop réel de Nuit et Brouillard. Cela a suffi à faire écrouler le début de sa vie. C’est l’histoire de cet adolescent qui n’a plus trouvé le sommeil, et décidé de ne plus manger. Qui a construit son existence sur une obsession, celle de ces scènes d’extermination massive, et qui s’y est perdu, à force de s’interroger. Comment cela a-t-il été possible ? Comment vivre parmi les hommes après ça ? Comment être un homme ? Sous la forme d’un monologue introspectif, le garçon devenu adulte raconte le choc, la douleur, les délires, la descente aux enfers, depuis l’enfant brusquement orphelin de ses frères humains, à l’adolescent anorexique qui mène une lutte intransigeante contre le bonheur, confondant devoir de mémoire et devoir de souffrance. Et nous écoutons, dans un texte aussi court que percutant, le cheminement de cette conscience en butte avec LA page noire du XXe siècle. Avec une honnêteté désarmante, Mazarine Pingeot surprend, encore une fois. C’est la voix d’une génération mal à l’aise qu’elle élève, une génération grandie dans l’effroi et l’abstraction d’une horreur à laquelle elle a échappé, mais qui a fondé son époque ainsi que celles à venir. Une génération ou chacun, juif ou non, s’est retrouvé en prise avec cette question. Parce que la Shoah est l’héritage qui continue de mettre à mal l’idée d’humanité, parce qu’elle demeure une blessure, parce qu’il est nécessaire qu’elle le demeure. La mémoire, la dépression, la difficulté d’aimer, le poids écrasant de l’Histoire sur les destins individuels, Mazarine Pingeot retrouve des thèmes qu’elle tisse en les variant d’un livre à l’autre, construisant une oeuvre sombre et singulière. Mais cette fois, c’est l’individu qui s’en prend à l’Histoire, et tente de la soumettre. Un combat vain, dont l’issue, malgré tout, recèle un espoir : celui d’une descendance meilleure.