Dans son dernier roman, Françoise Pirart dénoue l’écheveau de destins croisés, celui d’Antonine et celui de Lara. La première termine ses jours dans la solitude d’un home, la seconde, par humanité, a choisi de lui rendre visite, sans la connaître, parce qu’elle est seule, par humanité. Mais le passé remonte à la surface de la mémoire partagée…
Nous avons rencontré Françoise Pirart en marge de la Foire du Livre Belge de Uccle
Edmond Morrel
Sur le site de l’auteure :
« Lorsque Lara fait la connaissance d’Antonine au Doux Repos, la dame affiche quatre-vingt-quinze printemps, une santé de fer et une sacrée dose d’humour teintée de sarcasme.
« On m’a dit que j’étais vieille ! » s’insurge Antonine. Et de conclure son monologue intérieur sur le quotidien dans la maison de retraite par un constat fataliste, presque amusé : « On meurt beaucoup ici. »
Entre la rude Wallonne qui a traversé toutes les guerres et Lara, la jeune pianiste si troublante, une amitié indéfectible va éclore. Trois années de conversations, de confidences mutuelles dans la douceur des gestes et le secret des silences.
Mais en vérité, qui est Lara ? Qui est la musicienne surdouée, fragile au point d’avoir renoncé à une carrière hors du commun ?. »
Les premières lignes
Les restes de moi s’en vont. Mon armoire n’est plus celle d’avant. Il y a deux mystères à explorer : que sont devenus mon secrétaire en acajou et mon abat-jour bleu à festons jaunes ?
Je ne sais pas ce qu’on me veut. Aujourd’hui, j’ai été emmenée par ceux-là. L’un, grand et fort, était plutôt beau garçon, il aurait pu me plaire. Croit-on que je puisse regarder un homme sans le voir comme tel ? Sous sa blouse blanche (ils en ont tous), il devait avoir un torse musclé qui prête à tous les désirs, des jambes longues et bien faites, des pieds d’homme préhistorique. Ah ! je disais toujours à Albert qu’il avait des pieds d’homme préhistorique !
On m’emporte, je suis devenue une toute petite chose qui glisse entre leurs doigts. Je glisse et je me tais. De toute façon, on ne m’écoute pas. La fois passée – hier ? avant-hier ? –, j’ai demandé pourquoi j’étais ici. On m’a répondu que c’était pour mon bien. Que pour moi, il n’y avait pas d’autre solution étant donné mon âge.
Je suis stupéfaite. On parle de mon âge, mais on ne me pose aucune question précise à ce sujet. Certes, j’avoue ne plus être une jeunette, mais quand même… Questionner une femme sur un sujet aussi délicat est très souvent indélicat.