Florio versus Shakespeare

« John Florio, alias Shakespeare » de Lamberto Tassinari (Ed Le bord de l’eau)
« Shakespeare, le choix du spectre » de Daniel Bougnoux (Les Impressions nouvelles)
« Othello, Lear , Macbeth, quatre siècles de scène » (numéro 256 de la revue Marginales » ,

Dans sa collection « Nouveaux classiques », les Editions du Bord de l’eau publient (dans la traduction française de Michel Vaïs) l’ouvrage de Lamberto Tassinari initialement publié en anglais sous le titre « John Florio, the man who was Shakespeare ». Daniel Bougnoux signe la préface de ce livre qui sort presque simultanément avec celui que publie le préfacier aux Impressions Nouvelles, sous le beau titre « Shakespeare, le choix du spectre ». (qu’il dédie d’ailleurs à Lamberto Tasinari, « sans qui ce livre n’aurait jamais existé ». Plongées dans l’énigme littéraire la plus commentée qui soit (« qui était vraiment Shakespeare dont on n’a qu’un seul portrait…no authentifié »), ces deux études nourriront à n’en pas douter le débat.

On se souviendra que la revue « MARGINALES », dès 2004, s’était interrogée elle aussi sur cette énigme, en proposant à des écrivains d’inventer dans de courtes nouvelles, le génie qui a pu engendrer la même année Macbeth, Le roi Lear, et Othello. Excusez du peu….!

Nous avons rencontré Lamberto Tassinari., en octobre 2015, à Montréal, avant la publication du livre,

Edmond Morrel, Bruxelles, le 30 janvier 2016

Sur le site des Impressions Nouvelles :

On dit qu’aux premières représentations d’Hamlet, William Shakespeare se réservait le rôle du spectre. Et si ce choix, loin de se limiter à ce rôle, avait été celui d’une vie entière ? Être ou ne pas être exprime une alternative essentielle peut-être à l’identité d’un auteur décidément ailleurs : les maigres documents dont nous disposons sur la vie du Shakespeare officiel suggèrent, en creux, le portrait d’un homme qui ne cesse d’effacer ses traces ou se dissimule tenacement.

Le choix même du théâtre, brassage à profusion de voix, de prises de position et de visages, aggrave cette ontologie vacillante : « Shakespeare » un et toujours multiple se tient entre, plusieurs personnes, plusieurs langues, plusieurs cultures ou identités, dont quatre siècles de gloses et d’interprétations n’ont pas percé le masque. Quelle surprise de constater que comme la Bible, ou l’Iliade et l’Odyssée, cette œuvre parmi les plus commentées du monde ne soit pas clairement signée !

Après avoir rappelé l’inanité de la thèse officielle qui lui assigne pour père le bourgeois de Stratford-upon-Avon, et à la suite de l’hypothèse récente formulée par Lamberto Tassinari, Daniel Bougnoux part à la recherche d’un auteur autre : John Florio (1553-1625), né à Londres mais d’origine italienne, et juive, avait des qualités de lexicographe, de traducteur et d’érudit qui font de lui un prétendant autrement plus crédible. Et le véritable Shakespeare dans ce cas aura mené une vie plus exposée et compliquée qu’on ne pense.

L’auteur

Daniel Bougnoux, philosophe, a publié une vingtaine d’ouvrages dans les domaines de la théorie littéraire et des sciences de la communication. Il a accompagné Régis Debray dans le développement de la médiologie. Spécialiste d’Aragon, il a dirigé l’édition de ses Œuvres Romanesques Complètes dans la bibliothèque de la Pléiade (cinq volumes).

Sur le site de « Le bord de l’eau » :

La question de l’identité de William Shakespeare hante le monde littéraire depuis bientôt deux cents ans, au cours desquels cette œuvre immense a été attribuée à plus d’une cinquantaine d’Anglais dont Francis Bacon, Edouard de Vere ou Marlowe… Lui donner, sans autre discussion, la paternité d’un « génie » petit-bourgeois de province réfractaire aux langues étrangères, entrepreneur de spectacles à Stratford-upon-Avon, joués à Londres, ne fait donc pas vraiment l’unanimité…

Par une démonstration-enquête minutieuse et érudite, Lamberto Tassinari dévoile que John Florio était Shakespeare. Fils d’un émigré italien, Michel Angelo Florio, juif converti, prédicateur franciscain puis calviniste, John Florio naquit à Londres onze ans avant le Shakespeare officiel… John, lexicographe, auteur de dictionnaires, polyglotte, traducteur de Montaigne puis de Boccace, précepteur à la cour de Jacques 1er, employé à l’ambassade de France ne cessa de jouer les « passeurs » culturels.

Produire l’œuvre de Shakespeare supposait d’immenses ressources matérielles, telles que la possession d’une riche bibliothèque, circonstance à l’époque rarissime, mais aussi la connaissance de langues étrangères (au premier rang desquelles l’italien), des voyages en Europe continentale, la fréquentation de la cour et de la noblesse. Et que dire de cette intimité passionnée avec la musique, avec l’Écriture sainte, et de sa connaissance précise des humanistes de la Renaissance continentale (Dante, l’Aretin, Giordano Bruno pour l’Italie, Montaigne chez nous) ?

« La Tempête » exprime de façon poignante, quoique cryptée, la plainte de l’exilé, la perte du premier langage, sa consolation par la fantasmagorie et les méandres douloureux du rapport générationnel… Les tourments de l’exil hantent les « Sonnets » : sont-ils vraiment de la plume d’un homme voyageant pour ses affaires de Stratford à Londres, et qui ne sortit jamais de son île ?

On a souvent remarqué l’étrangeté de la langue de Shakespeare sans jamais faire l’hypothèse qu’il pourrait être étranger…

Au fil des pages les indices s’accumulent… On découvre « Shakespeare » rendu à sa richesse et à sa complexité nées du polylinguisme et des souffrances de l’exil.

Et s’il était juif et italien… mais, comme le dit de lui-même Florio, toujours « anglais de cœur » ?

Lamberto Tassinari est un philosophe canadien né en Italie qui a travaillé dans l’édition et a consacré plusieurs années de sa vie à étudier minutieusement l’œuvre de Shakespeare. Il a fondé et dirigé la revue transculturelle Vice Versa de 1983 à 1996.