Érasme et son temps, trente essais d’études érasmiennes de Jean-Pierre Vanden Branden ( Rotary Bruxelles Erasme)
Qui mieux que celui qui a été le conservateur de sa maison d’Anderlecht pouvait nous raconter Erasme et son temps ? Il suffit, pour celles et ceux qui ont la chance de l’avoir croisé, de se souvenir de cet étrange sentiment de se trouver littéralement face à son « cher Érasme de Rotterdam », lorsqu’il évoque tel ou tel aspect de l’œuvre ou de la vie ou, surtout, de la pensée de celui qui est, sans doute, le plus humaniste des humanistes de la Renaissance. Dans un ouvrage offert à Vanden Branden lorsqu’il prit sa retraite, le préfacier, Jean Somers, ne s’exclama-t-il pas : « Érasme existe, je l’ai rencontré ! »
Vanden Branden a consacré, il est vrai, des milliers de pages sous forme de conférences, articles, essais et pas moins de six monographies à propos d’Érasme. Il a dirigé et animé avec une passion sans faille le musée, la Maison d’Érasme à Anderlecht. Avec ce livre, il prolonge cet engagement par le biais de trente « essais » qu’il nous offre, en s’adressant souvent directement au lecteur, avec une verve jubilatoire. Qu’on ne s’y trompe pas, l’ouvrage, fort de près de 500 pages, est l’œuvre d’un érudit et d’un expert. Est-ce la longue familiarité avec l’agilité de la formulation de la pensée de son maître qui a enseigné à Vanden Branden cet art (cette grâce) de la transmission éclairée des pensées. Il y a dans chaque chapitre du recueil une allégresse qui jamais ne se dément et qui accompagne la lecture. Il faut insister sur cet aspect de l’écriture Vanden Brandienne : rien n’est abscons, rien ne rebute l’intelligence (dans le sens de compréhension) dans ce portrait caléidoscopique d’une pensée dont la nécessité aujourd’hui s’exprime à chacune des occasions tragiques qui, dans l’actualité, témoignent de la violence du monde. En ces jours, on aimerait tant que le livre de Vanden Branden, accompagné des œuvres originales qu’Erasme a consacré à la tolérance et à l’éducation – pour ne citer que deux exemples – figure en bonne place dans la bibliothèque des « grands de ce monde ».
Ce livre est aussi une autobiographie intellectuelle et littéraire de son auteur. Ces trente essais s’ouvrent sur une soixantaine de pages autobiographiques, érudites et empathiques de celui qui se proclame haut et fort « inconditionnel thuriféraire de l’humaniste et son propagandiste le plus vigilant ». La preuve : les 500 pages de ce livre qui se lit d’une traite. On y trouve le récit de la naissance d’une vocation (dont témoignent dans l’iconographie de l’ouvrage deux dessins représentant Erasme, réalisés par le futur conservateur du musée lorsqu’il avait une douzaine d’année) et un hommage à celles et ceux qui l’ont encouragée. Ainsi évoque-t-il « une mémorable liste d’amis, dont quelques-uns arboraient des lavallières, des chapeaux noirs à larges bords, les cheveux longs avant tout le monde et la barbe pointue… » : de Marcel Dieu, « libraire pantagruélique », Désiré Pyrins « artiste éminent d’Anderlecht », Henri Lavachery « premier savant belge à accoster sur les rives de l’île de Pâques »… On ne pourrait citer tous ceux à qui Vanden Branden rend hommage, mais on ne pourrait passer sous silence deux figures tutélaires, furent exceptionnelles à plus d’un titre, deux amis au sens plein et profond le poète Maurice Carême et le conservateur fondateur du Béguinage et de la Maison d’Erasme, Daniel Van Damme. Ces hommages amicaux ouvrent l’ouvrage et donnent le ton de l’ensemble : chaque évocation pique la curiosité du lecteur qui n’a qu’une hâte, en connaître davantage encore. Ainsi, avec Eugène Baie, « un astre venu d’ailleurs », Vanden Branden nous dit la dette qu’il a contractée à l’égard de « l’historien de la Flandre éternelle », Eugène Baie, à qui l’on doit notamment les six volumes de Le siècle des gueux et dont Vanden Branden peut aujourd’hui révéler le secret de sa naissance.
Dans sa préface, l’historien Georges Laurent met en évidence l’ambition du livre : transmettre le « legs spirituel d’Erasme (…) un idéal d’élévation morale, une utopie d’amélioration et de progrès de l’Humanité (…un) message d’une actualité criante. ». Vanden Branden aurait pu signer la lettre de François Rabelais, écrite à son maître en 1532 : « Oui, tout ce que je suis, tout ce que je vaux, c’est de toi seul que je le tiens ! »
Jean Jauniaux, le 26 octobre 2023.
Pour visionner l’interview de Jean-Pierre Vanden Branden sur la chaîne Youtube de « L’ivresse des livres »: