On ne cesse de se réjouir de ces libertés retrouvées qui nous reviennent après des mois de confinement. L’une des plus enthousiasmantes est à n’en pas douter celle qui nous permet à nouveau d’aller au théâtre. Dans l’éventail des pièces et spectacles qui nous sont proposés cet automne, il y a une pièce qu’ il ne faudrait pour rien au monde manquer: Le blasphème. Ecrite dans le sillage sanglant des attentats parisiens de 2015, la pièce de Philippe Madral évoque le destin tragique du chevalier de la Barre accusé de blasphèmes et d’impiétés condamné à mort au terme d’un des plus grands procès du XVIIIème siècle. Mais, précise l’auteur, il s’agit d’une pièce » sur l’intolérance religieuse, tout aussi valable dans n’importe quelle religion monothéiste et à tout époque…”
Le théâtre remplit ici pleinement sa mission de rendre sensibles les failles qui déchirent la société, que ce soit au XVIIIe ou au XXIe siècle: elles ont pour nom l’injustice, l’intolérance, le dogmatisme, le rejet de l’autre. Portés par un texte d’une poignante intensité dramatique, et une mise en scène (signée Michel de Warzée ) éclatante d’efficacité et de force, les comédiens déploient un jeu d’une indéniable justesse, donnant à chacun des personnages sa dimension vraie et complexe. Ainsi Stéphanie Moriau nous montre les détresses d’une âme déchirée entre la fonction religieuse qui lui est échue (abbesse de Willancourt) et la conscience de l’injustice faite à son jeune cousin, le Chevalier de la Barre. Pour incarner ce dernier, il faut à Jonas Claessens un éventail particulièrement large pour exprimer les convictions et les principes de liberté de pensée qu’il revendique et les souffrances qu’il sera amené à endurer lorsqu’il tombera entre les griffes de l’assesseur criminel Nicolas Pierre Duval de Soicourt, un être sinistre, froid, impitoyable. Pascal Racan compose ce personnage avec une maestria qui donne froid dans le dos tant elle incarne la sourde violence des vengeances privées dissimulées sous le prétexte de l’application de la loi. La distribution se complète par le personnage de Marguerite Becquin, jeune fille resplendissante de vie et de sincérité, déchirée par l’injustice faite à celui qu’elle aime, qu’incarne avec espièglerie et gravité Loriane Klupsch. A ceux ci s’ajoute le greffier, Sieur Marcotte, vil et pleutre serviteur de l’assesseur criminel, incarnation d’une lâcheté molle et criminelle. Ce rôle discret est tenu sans faille par Simon Willame, tout en subtilités dans la pleutrerie de ce second rôle, dont on sait combien ils sont difficiles à jouer.
Nous avons salué la mise en scène de Michel de Warzée. Il y incarne le seigneur de Belleval, un homme arriviste, préoccupé de ses propres intérêts, aveugle aux travers de l’intolérance dont son indifférence est complice. Un personnage dont la complexité était un défi relevé avec brio par celui qui avait déjà incarné, du même dramaturge , le personnage de Clémenceau dans La colère du tigre. N’omettons pas de saluer le très impressionnant dispositif scénique : le décor de Renata Gorka et la lumière de Bruno Smit méritent leur part d’applaudissements!
Il reste ici à formuler un voeu: celui de voir jusqu’à la dernière représentation (le 17/10) le public remplir la salle, la faire vibrer de cette émotion que seul le théâtre stimule avec tant de force, et ce d’autant plus, lorsqu’il s’agit d’une pièce comme celle-ci, Le blasphème qui nous donne tant à penser et à méditer. Rappelons que la programmation initiale de cette pièce avait été interrompue pour cause de confinement des lieux culturels…Raison de plus pour y retourner voir!
Par ailleurs le public ne manquera pas d’aller au WHALLL voir l’exposition consacrée au cinquantenaire du théâtre Claude Volter, devenu en cette année Comédie Royale… Une publication richement illustrée permet de suivre, avec photos et affiches, la trajectoire de ces cinq décennies d’un vrai théâtre de création.
Jean Jauniaux, le 2 octobre 2021
Sur le site de la Comédie royale Claude Volter:
L’histoire tragique du chevalier de La Barre accusé de blasphèmes et d’impiétés est l’un des plus grands procès du XVIIIème siècle. “Une pièce sur l’intolérance religieuse, tout aussi valable dans n’importe quelle religion monothéiste et à tout époque…”