« Un écrivain ment toujours, mais il ne triche jamais » (Roger Grenier)
Cette rencontre avec Edmond Morrel a été enregistrée à la sortie du roman de Karine Tuil, le 16 septembre 2008. Karine Tuil sera présente à la prochaine Foire du Livre de Bruxelles. ( 5-9 mars 2009)
Premier mot du roman, première phrase sur le personnage central, celui de Jacques Lance, le père de la narratrice : « son imprévisibilité d’abord, et l’angoisse qu’elle générait chez ses interlocuteurs… ». Ce livre sera le portrait de cet homme, tel que demandé à la narratrice par un vieil éditeur…mais ce sera aussi un livre sur l’écriture…et le lien ambivalent, mouvant, insaisissable entre réalité et fiction, c’est à dire entre vérité et mensonge…
« toutes les trahisons qui font de nos vies le théâtre de nos excès, j’en ai fait des livres, mais la réalité est plus ambitieuse que la fiction. »..(p 15)
Le roman de Karine Tuil traite de la relation à l’écriture et à l’identité de la narratrice, qualifiée d’ « écrivain » au masculin par son père, dont l’éditeur n’attend qu’un livre, celui consacré à son père, et puis « les mots entrent en résistance lorsque j’essaye d’écrire à la première personne, au féminin, je me sens étrangère à la féminité, j’ai une identité équivoque. » (p. 17)
C’est aussi un roman sur « le dernier tabou après la pornographie et la tyrannie domestique : la polygamie. . » (p. 19)
La relation entre la narratrice et son père, sujet du livre à écrire, devient la relation entre l’auteure et son éditeur…mais aussi celle avec son grand père, devenu dément…donc entré dans la fiction… ?
Possédée par son éditeur, la narratrice doit devenir narrateur pour écrire ce livre qui lui est exigé…parce qu’elle comprend qu’elle doit passer par la fiction pour écrire la réalité. Par cette (double) mise en abyme, Karine Tuil nous fait entrer dans le roman écrit pas Adam Lansky, qui n’existe pas, et, consacré à son père qui en porte le nom : « Jacques Lansky » devient le titre du roman.
Deux phrases glanées au fil de la lecture :
« je dois me méfier de toi, ne pas oublier que tu es écrivain » parce que les écrivains, quand ils souffrent « ce sont des bêtes dressées pour mordre. » (L’éditeur à l’écrivain..)
« A quoi pensent les gens qui n’écrivent pas ? » (P. 143)
Quel livre ! Vous le refermez sur les deux derniers mots et ce sont ces deux mots-là qui vous donnent la clé de tout ce que vous venez de lire….Roger Grenier avait cette formule fulgurante : « Un écrivain est quelqu’un qui ment toujours et qui ne triche jamais ».
C’est peut-être là que réside le secret et l’étrangeté de l’écriture : une exploration mensongère de l’humain, qui ne cesse jamais d’investiguer le chaos pour en retirer des éclats de vérité et les donner en partage…