L’ego-fiction, appelée aussi écriture du moi, est le plus souvent un leurre, voire un attrape-nigauds. Parce que peu d’auteurs, même ambitieux et bien intentionnés, peuvent défier Proust, mais aussi parce que beaucoup surfent sur une vague où les porte le voyeurisme du public. Une part énorme de cette production – songeons, par exemple, à Christine Angot – répond sans toujours se l’avouer à une demande : l’indiscrétion insatiable de la concierge qui sommeille en beaucoup de lecteurs.
Un auteur majeur, trop peu connu malgré un Médicis de l’essai décroché il n’y a guère, dote cette manière de ses lettres de noblesse. Claude Arnaud est, à ce titre, le continuateur d’un Michel Leiris dont le livre « L’Age d’homme », paru en 1939, peut être considéré comme le texte initiatique d’une forme moderne d’auto-narration, dont on attribue abusivement la paternité à Serge Doubrovsky.
Arnaud s’est approché d’un art où il est passé maître, ce que son tout récent « Brèves saisons au paradis » montre brillamment, par différents détours. D’abord par « Le Caméléon », dont le jury du Fémina, en lui décernant le prix du premier roman, en 1994, discerna combien il était annonciateur. Puis par deux biographies. Celle, d’abord, d’un brillant esprit dont il n’est resté qu’un nom et quelques phrases, Chamfort. Puis celle d’une star des lettres et des arts, Jean Cocteau lui-même.
Paru chez Gallimard à l’automne 2003, ce livre fut salué comme un monument. Et il y avait de quoi ! Cette brique répondait à une inquiétude que l’intéressé lui-même avait exprimé dans son journal soixante ans auparavant : « Ni dans l’éloge ni dans le blâme je ne rencontre la moindre tentative afin de démêler le vrai du faux ». Arnaud avait, s’attaquant à ce mille-pattes, à ce touche-à-tout, à cet arlequin, trouvé la clé identitaire qu’il avait subodoré dans « Le Caméléon ». C’est qu’il n’y a pas de « je » au sens d’atome insécable, pas d’individu, mais des dividus, qui s’efforcent de se rassembler.
Fort de cette découverte, Arnaud allait composer un essai magistral, « Qui dit je en nous ? », dont les dames du Fémina, comme on les appelle, ont une fois de plus constaté la pertinence, en le couronnant de leur prix de l’essai.
A partir de là, l’auteur était en mesure de se raconter lui-même. Ce qu’il est en train de faire. Il y a deux ans, cela donna « Qu’as-tu fait de tes frères ? », tragédie de la fratrie d’une terrible franchise, qui avait cette force rare de plonger à la fois dans une expérience douloureusement personnelle sans y mettre aucune complaisance, tout en envoyant au lecteur un terrible défi de lucidité et de sévérité sur soi. C’est ce qui fait l’écriture du moi d’Arnaud une écriture du nous.
Dans son nouveau livre, « Brèves saisons au paradis », il y va aussi de souvenirs des plus intimes, et en particulier de la bisexualité vécue comme une expérience intérieure de recherche de soi, mais une fois encore avec une générosité de confidence qui est de l’ordre du pacte avec le lecteur. Leiris faisait précéder don « Age d’homme » d’une préface célèbre où il comparait la littérature à une tauromachie.
Le torero, en son habit de lumière, et ici il s’agit d’une lumière faite sur soi, s’offre en quelque sorte en sacrifice. Et si de la sorte il se purifie lui-même, il nous libère de la chape des mensonges qui nous oppressent.
Jacques De Decker, 6 novembre 2012.
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530