Ré-édition chez Samsa du recueil de Renaud Denuit « Ce qui est demeure du temps »

Ce qui est demeure du temps – poésie · Renaud Denuit, préface de Yves Namur, Editions Samsa,160 pages, 18,00 €

Autres livres cités dans l’article:

La tribu Bodart-Richter, coordonné par F. Richter et F. Ost, 274 pages, AML Editons, 28,00 €

Marie-Claire d’Orbaix, Œuvre poétique complète 1948-1990, Renaud et Béatrice Denuit, 2020, 522 p., 15,00 €,

La lecture silencieuse, pour un lyrisme de l’expérience, Eric Brogniet, Editions de l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique, 450 p., 30 €

En republiant le recueil de Renaud Denuit, les Editions Samsa  donnent l’occasion au public de redécouvrir un ensemble poétique encadré par les lectures que nous en donnèrent à sa parution, il y a près de quatre décennies, les critiques aussi éminents que Jacques De Decker, Jean-Baptiste Baronian, France Borel, Emile Kesteman, Huguette de Broqueville, Joseph Ghislain, Roger Foulon, M.M., Alice Cluchier, Georges Sedir, René De Smedt. Il y en eut sans doute d’autres qui avaient encore présents à l’esprit le visage et la voix du journaliste, mais surtout sa grande capacité d’élucidation au journal télévisé belge de l’époque, des dossiers politiques les plus abscons. Les lecteurs du quotidien Le Soir se souviennent de l’entrée en matière de l’article de Jacques De Decker : « On ne voit plus Renaud Denuit au journal télévisé. » La réédition donne aussi une portée nouvelle au titre de l’ouvrage et aux quarante années qui l’ont mûri : Ce qui est demeure du temps. La préface, actuelle, d’Yves Namur est à cet égard une balise qui précise ce qui lui apparaît être aujourd’hui le projet de Denuit : « (…) une entreprise sémiologique de déchiffrement des signes que le temps peut laisser comme traces tangibles ou non… ». Le préfacier ne peut ne pas évoquer Proust, dans le prolongement d’une saisissante citation de Roger Bodart : « l’instant qui se défait, s’il est insaisissable, s’il est mirage, n’est-ce pas parce que nous refusons de voir qu’il est l’ombre projetée d’un instant parfait, d’un instant éternel ? » (Roger Bodart est aussi évoqué par le Secrétaire perpétuel de l’Académie, dans un des chapitres consacrés à  La tribu Bodart –Richter   que viennent de publier les Archives et musées de la littérature sous la coordination de Florence Richter -la fille d’Anne Richter et Roger Bodart- et de François Ost.) Enfin, cette longue introduction ne peut faire l’économie d’une autre évocation dans l’actualité éditoriale patrimoniale, celle des poésies complètes de Marie – Claire d’Orbaix, que Renaud Denuit et sa sœur Béatrice ont réunies en un indispensable volume en 2021 (nous en avions rendu compte ici à sa publication http://edmondmorrel.be/?p=4489 )  et que Jacques De Decker commentait ainsi : « Des mots qui sont sur toutes les lèvres, comme échappés de la rumeur quotidienne, saisis comme une buée un matin d’hiver et qui prennent ici une noblesse et une grandeur inouïe. L’écriture de Marie-Claire d’Orbaix c’est l’économie au point le plus haut de son frémissement. Ne restent sur la page que les mots les plus denses, les plus électrifiés qui tirent d’ailleurs l’essentiel de leur énergie de leur assemblage. Rares sont les poètes qui font de l’expérience commune par l’alchimie d’un regard et d’un langage, un champ auquel nul ne peut se dérober. »

Quant au recueil Ce qui est demeure du temps il alterne différentes formes, depuis la poésie régulière en vers, jusqu’à une série d’ « options » en proses courtes, d’aphorismes ou de consignes absurdes (ainsi « L’infini au bureau » dont les lecteurs risquent de tenter l’expérience s’ils disposent d’une photocopieuse au bureau et d’une grande part d’ennui). Surgissent aussi des « Voix » qui se font écho, des souvenirs brefs annotés comme autant de sensations que délie l’écriture de celui qui indique, à Venise,   mon regard particulier m’aide à voir loin et doux.  Les poèmes sont autant d’invitations à la méditation, à l’instar du titre (à double sens suivant que « demeure » est verbe ou substantif), ou à une observation désabusée du monde, le plus lyrique ou le plus banal.

Dans l’écriture à la pointe sèche à laquelle le poète se livre, on devine l’espièglerie de la gravité qui fait du poète un philosophe. Ou l’inverse. Mais, comme le rappelait avec cette acuité qui est sienne le poète Eric Brogniet lors d’une séance à l’Académie, où il présentait des fragments du livre à venir ,  La lecture silencieuse, «  la poésie est le point incandescent de la philosophie » (citation de mémoire d’une phrase d’Elisa Brune).

Il y a ici, dans cette deuxième édition du livre  de Denuit qui, ensuite, consacrera pas moins de six ouvrages aux philosophes qui le hantent (Marx, Aristote, Heidegger, Marcuse…), une sorte de prémonition de ces livres à venir et de la préoccupation philosophique.

Le temps est aussi constitué de cette incertitude du devenir à laquelle l’artiste ne peut que deviner l’accès, conscient de l’inconnaissance du passé : tout au fond de la mer/ gisent les civilisations/ qui se succèdent/ montant les marches des palais immergés.

Jean Jauniaux, le 11 mai 2023

Livres cités :

Ce qui est demeure du temps – poésie · Renaud Denut, Editions Samsa,160 pages, 18,00 €

La tribu Bodart-Richter, coordonné par F. Richter et F. Ost, 274 pages, AML Editons, 28,00 €

Œuvre poétique complète 1948-1990, Renaud et Béatrice Denuit, 2020, 522 p., 15,00 €,

La lecture silencieuse, pour un lyrisme de l’expérience, Eric Brogniet, Editions de l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique, 450 p., 30 € (voit aussi à ce propos: https://www.areaw.be/la-lecture-silencieuse-essai-eric-brogniet-2022-editions-de-larllfb-essai-litteraire336-p-30-e-isbn-9782803200665/  )

A signaler aussi, pour compléter la lecture de la monographie La tribu Bodart-Richter plusieurs interviews d’Anne Richter sur le site de « L’ivresse des livres » . Ces interviews donnent à entendre par Anne Richter elle-même l’évocation de son oeuvre La promenade du grand canal, Etranges et familiers, La grande pitié de la famille Zintran etc, ses souvenirs d’écriture, et de l’oeuvre de ses parents.

http://www.espace-livres.be/Les-compagnons-etranges-et

http://www.espace-livres.be/Trois-romans-de-Marie-Therese

http://www.espace-livres.be/Ecoutez-Anne-Richter-au-micro-d

http://www.espace-livres.be/Ecoutez-Anne-Richter-au-micro-d,1634