Il y a des livres qu’il ne faut pas négliger d’évoquer, même s’ils (parce qu’ils) sortent des sentiers habituels, des normes et routines du lecteur ou du chroniqueur. Carino Bucciarelli dont on lira les cheminements biographiques par ailleurs (issu du monde ouvrier, ancien métallo, région de Charleroi: tout indique ici que la littérature ne peut être qu’engagement viscéral), est un poète, un romancier et un nouvelliste. Ces trois lignes stylistiques s’entrelacent, depuis son premier recueil de poèmes Le jour d’Attila paru en 1985, jusqu’à ces « 117 romans-fleuves » dont nous achevons à l’instant la lecture hypnotique, grave et ironique, où humour et gravité s’allient avec bonheur. Poésie, fiction et auto-fiction se nourrissent l’une de l’autre, car Bucciarelli nous apparaît avant tout en conteur c’est à dire celui qui a l’art et le goût, le talent et l’architecture naturels de raconter les fables qui nous aident à apprivoiser l’énigme de l’humain.
Daniel Simon, dans une récente chronique du Carnet et les Instants le qualifiait à juste titre d' »alchimiste » à propos de son roman Mon hôte s’appelait Mal Waldron. Daniel Simon qui est aussi l’éditeur de ce dernier ouvrage en date … Autre signe caractéristique de Carino Bucciarelli: avoir été publié au catalogue de différentes maisons, comme L’arbre à Paroles, Luce Wilquin, Maelstrom, L’Âge d’homme, M.E.O., L’herbe qui tremble, Bleu d’encre avant d’être aujourd’hui accueilli chez Traverse . Cet éclectisme reflète la variété des maisons d’édition en Belgique francophone, mais aussi peut-être la difficulté d’ancrage d’une oeuvre sous une même enseignes. Est-ce un bien ? Il ne nous appartient pas de nous prononcer mais peut-être de craindre ici l’éparpillement éditorial de ce qui, nous le découvrons, constitue une oeuvre à part entière. C’est surtout l’oeuvre poétique de Bucciarelli qui a été saluée par pas moins de trois prix attribués par l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique. Le Prix Nicole Houssa (1988 dès le début de l’oeuvre…) pour son recueil de poèmes Un ami vous parle, le prix Franz De Wever (1997) pour son recueil de nouvelles L’Inventeur de paraboles et enfin le prestigieux Prix Lucien Malpertuis 2019 pour l’ensemble de son œuvre poétique. L’oeuvre en prose mériterait elle aussi d’être mise en lumière.
Pour en convaincre les jurys attentifs, il suffirait de les inviter à lire l’une ou l’autre des fables que nous donne aujourd’hui l’écrivain, articulant l’horlogerie fine qu’entraînent les mécanismes subtils du texte court, de la fable et de la nouvelle. Le narrateur est démultiplié de texte en texte et offre ainsi à ses réflexions la perception d’un grand-père, d’un professeur, d’un adulte fou face à un enfant fou, un faux pantin, un enfant mal aimé (Evidemment une des fables les plus douloureuses du recueil), un collectionneur de coquillages, un prisonnier (J’ai oublié mon crime au vertige kafkaïen ! un chef d’oeuvre!)…
Impossible ici de rendre compte de l’ensemble de ces textes courts qu’il faut découvrir, comme nous l’avions fait, au hasard d’instants de lecture brefs et intenses qui donnent à chaque page la lumière d’un miroir.
Jean Jauniaux, le 19 mai 2022
Une présentation du livre par son auteur:
J’ai commencé l’écriture de ces petites fables ignorant que les thématiques tourneraient souvent autour du regard sur notre éventuelle présence ou non-présence dans un monde hypothétique. Comme pour chaque livre, l’adéquation entre le propos et la technique s’est montrée primordiale. Écrire de très courtes nouvelles n’a rien de neuf, pratiquer la fable dans le style romanesque, depuis Lewis Carroll, ne surprend personne. Il est plus difficile de trouver un ton qui correspond aux deux genres. La fiction d’entrée de cet ensemble a déterminé et la façon et le propos.
C.B.