« Hospita-Litté » (3): Le Prix Horizon du deuxième roman francophone présenté par son créateur, Armel JOB

Après Eric Brogniet (à propos de Marcel Sel), Armel Job (après un texte consacré au recueil de nouvelles Le père que tu n’auras pas de Luc Leens publié aux Editions Quadrature), nous propose pour « Hospita-Litté » un nouvel article consacré cette fois au Prix Horizon du deuxième roman francophone dont il est le créateur. Il revient sur cette aventure dont la sixième édition en date s’est achevée ce 21 mai 2022. La lauréate, Constance Joly, faisait partie avec son roman Over the rainbow (Flammarion) des cinq finalistes de la cuvée 2022. Elle s’inscrit ainsi dans le palmarès d’un prix dont nous souhaitions (et prédisions) déjà la pérennité et le succès grandissant en …2012. (Jean Jauniaux)

Le prix Horizon du deuxième roman francophone est né en 2010, un beau soir d’été, à Marche-en-Famenne, après un  concert du Juillet musical, auquel mon épouse et moi avions assisté. Une petite réception était offerte au public par la commune. Alors que nous dégustions une rochefort, le bourgmestre, André Bouchat, nous demanda, à brûle-pourpoint, si nous n’aurions pas une idée d’animation culturelle pour sa ville. Quelques jours plus tard, nous lui fîmes parvenir une lettre dans laquelle nous lui suggérions de mettre sur pied un prix littéraire francophone.  Proposition qui n’aurait rien eu de très originale – il y a plus de trois mille prix littéraires rien qu’en France –, si nous ne l’avions assortie de deux particularités. D’abord, ce prix serait décerné exclusivement à un deuxième roman ; ensuite, le jury ne serait autre que la population de sa bonne ville.

Un deuxième roman

Pourquoi un prix du deuxième roman ?  Le plus grand nombre des prix littéraires consacrés au roman sont ouverts à tous les ouvrages récemment parus sans aucune distinction.  Quand on inscrit la sélection dans un créneau particulier, c’est notamment pour réduire le nombre de récipiendaires au sein de la marée déferlante des publications annuelles,  mais c’est aussi dans le but de mettre en évidence un aspect particulier de la production littéraire auquel on souhaite intéresser le public.

Le deuxième roman d’un jeune écrivain nous semblait particulièrement digne d’attention. Le premier roman, en effet, puise la plupart du temps au for intérieur de l’auteur. L’écriture permet au néophyte de se délivrer d’impressions existentielles qui lui pesaient assez  sur l’estomac pour qu’il se soit cru fondé à les coucher sur le papier et à les révéler au monde.  La chose faite, l’auteur se sent soulagé, mais également parfois et même souvent, vidé. S’il veut poursuivre une carrière littéraire, il faut qu’il jette son dévolu sur un nouveau sujet qui, sous peine de radotage, ne peut plus être lui-même. C’est donc un objet plutôt qu’un sujet qu’il lui faudra à présent dénicher hors de sa personne.

 Beaucoup de jeunes premiers n’y arrivent pas. Ils sont déjà épuisés. On estime que soixante-cinq pour cent des auteurs de premiers romans n’en écriront pas d’autre.  Aussi bien le deuxième roman mérite-t-il peut-être plus d’attention que le premier. Il permet de voir ce que l’artiste a vraiment dans le ventre. Est-il l’homme ou la femme d’une seule production ou pouvons-nous déjà nous réjouir de voir son horizon s’élargir ? Notre prix n’a pas été baptisé par hasard « Prix Horizon » par notre excellent ami, Ghislain Cotton.

On imagine aisément que, pour l’écrivain lui-même, le second roman se présente comme un redoutable défi. Va-t-il concrétiser les espoirs suscités par ses débuts ? Va-t-il tenir la distance ?  Va-t-il commencer à voler réellement de ses propres ailes ?  Car l’éditeur, bien souvent, l’a tenu à bout de bras dans son premier élan. Il a mis le paquet pour le sortir de l’anonymat. Il peut d’ailleurs s’estimer heureux s’il a déjà obtenu ce maigre résultat. Les premiers romans qui sont des succès foudroyants se comptent sur les doigts de la main. L’éditeur ne pourra, à chaque publication, investir les moyens du lancement. Il faut que l’auteur fasse la preuve qu’il va rapidement atteindre sa vitesse de croisière et permettre à sa maison de rentrer dans ses frais, voire de réaliser quelques  bénéfices.  Si trivial que cela paraisse, on ne peut oublier que l’édition est une entreprise commerciale et que, tout dévoué qu’il soit à la cause littéraire, l’éditeur ne pourrait indéfiniment financer à perte un écrivain boudé par le public, fût-il un génie.

Pour un jeune auteur arrivé au stade du deuxième roman,  il est donc essentiel de trouver des occasions de mettre en valeur l’évolution de son travail. Il y a des dizaines de prix du premier roman qui se proposent de découvrir de nouvelles pousses. La pousse cependant risque de s’étioler si on ne lui apporte pas le terreau et l’engrais nécessaires à une seconde floraison.

Les éditeurs

Notre intention a été parfaitement comprise dans les milieux de l’édition. Au moment du démarrage de notre première opération, en 2010, nous avons contacté quatre-vingts éditeurs belges, français, suisses et québécois. Nous leur demandions s’ils publiaient des seconds romans et, le cas échéant, de nous envoyer dix exemplaires en service de presse. Immédiatement, nous avons reçu un accueil favorable dans les meilleures maisons[1]  et nous avons pu compter sur l’envoi de vingt-cinq romans. Pour le prix 2022, plus de quarante nous ont été confiés. Désormais, les éditeurs connaissent bien notre travail et il est courant aujourd’hui qu’ils proposent des titres sans que nous les demandions.

C’est d’ailleurs plutôt la pléthore d’offres qui risquait de nous embarrasser à l’avenir du fait de l’invasion de l’autoédition et de l’expansion de multiples procédés d’édition en ligne. Nous avons donc résolu de nous en tenir aux romans publiés à compte d’éditeur suivant les règles et usages consacrés de la profession.

La sélection

Une fois les romans entre nos mains, nous les donnons à lire à  une équipe d’une dizaine de « connaisseurs » que nous avons mise en place avec des journalistes, des écrivains, des libraires, des bibliothécaires. Nous nous sommes assurés que chacune de ces personnes s’engage à lire soigneusement tous les romans, établisse des fiches, attribue des notes. Il y a, tout le monde le sait,  des jurys littéraires beaucoup moins scrupuleux… Au terme des lectures, l’équipe se réunit, délibère et arrête le palmarès des cinq finalistes. Le seul critère de choix est la qualité du texte.  Il nous a été suggéré de retenir au moins un Belge, nous ne le faisons pas. Nous voulons vraiment garantir le caractère francophone pur et simple du prix.

Une fois la sélection opérée, les comités de lecture entrent en jeu.

Les comités de lecture

En marge du travail de sélection, en effet, depuis nos débuts en 2010, nous avons entrepris  de constituer des comités de lecture populaires. Qu’est-ce qu’un comité de lecture ?  C’est un groupe de six personnes minimum qui se forme au gré des affinités (les infirmières de la clinique, les commerçants de la rue du Marché, les amis de la bibliothèque communale, etc.) Aucune compétence requise pour être de la partie, il suffit d’aimer la lecture. Le comité se donne un nom et désigne un président avec lequel nous resterons en contact par courriel.

Au départ, nous pensions limiter les comités à la ville de Marche, mais immédiatement, l’engouement pour notre prix a gagné la province de Luxembourg dont les autorités sont devenues un partenaire privilégié, puis la Belgique francophone tout entière et enfin, la Région Grand-Est en France. Ce qui fait qu’en 2022, nous comptions 200 comités pour un total de plus de 1600 lecteurs[1].

Le calendrier des opérations

Quand  la sélection est terminée et que les comités sont en place, comment l’animation va-t-elle se dérouler ?  Prenons l’exemple de la prochaine édition du prix qui sera attribué en 2024, notre prix étant biennal.

 Nous sommes actuellement occupés à recevoir les deuxièmes romans de 2022 et 2023. Nous arrêterons la réception le 15 septembre 2023. La sélection aura lieu en novembre 2023. La liste des cinq finalistes arrêtée, nous nous assurerons qu’ils acceptent de concourir, ce qui implique leur présence à tous à Marche, le jour de la remise du prix.

Les cinq titres sont alors soumis aux comités de lecture. Les membres ont jusqu’en mai 2024 pour les lire. Pendant cette période, chaque comité peut se réunir autant de fois qu’il le souhaite. Les échanges entre lecteurs sont évidemment un des aspects les plus attrayants de l’activité.

Le festival du deuxième roman

En mai 2024, à Marche-en-Famenne, se tiendra le septième festival du deuxième roman francophone. Ce jour-là, les cinq auteurs finalistes seront présents, répartis dès neuf heures  chacun dans une salle au centre  de la ville où les lecteurs vont pouvoir les rencontrer à tour de rôle  au cours des cinq séances qu’ils assumeront jusqu’à dix-sept heures.  Rien de plus réjouissant que de voir dès le matin le flux de lecteurs se répandre dans les rues pour se rendre à ces rencontres. L’arrivée des cars de la Région Grand-Est, notamment, est toujours un moment impressionnant.  Et les rencontres qui font la part belle aux questions du public se révèlent absolument passionnantes.

À dix-sept heures, les lecteurs se rendent dans une grande salle du WEX (Wallonie Exposition) où ils sont appelés à élire le lauréat au suffrage universel à bulletin secret. Les urnes les attendent sous le regard scrutateur d’un huissier de justice.

Pendant le dépouillement, un spectacle gratuit est offert aux lecteurs et aux personnes qui les accompagnent.  À l’issue du spectacle, le lauréat[2] est proclamé et reçoit le prix de 5000 euros offert par la ville de Marche.

Pour quoi tout ça ?

Pour les auteurs, d’abord. Tous ont été enchantés de l’organisation du prix et de la journée du festival. Pour un jeune auteur, peu connu encore, se gagner d’un seul coup plus de mille cinq cents lecteurs, cela vaut la peine. N’oublions pas que le nombre moyen de livres écoulés pour un premier roman atteint péniblement le millier chez les plus grands éditeurs. Les seuls achats pour nos comités dépassent deux cents exemplaires par auteur. C’est loin d’être négligeable. Et, surtout, l’auteur en herbe qui a déjà dû poiroter derrière une table dans quelques salons littéraires où il a signé trois ou quatre exemplaires et répondu à de rares questions parmi lesquelles la passionnante « Pouvez-vous m’indiquer les toilettes ? », pour la première fois sans doute a rencontré des centaines de lecteurs qui venaient pour le découvrir. Un vrai stimulant pour la suite de sa carrière.

Pour les lecteurs, ensuite. Tous témoignent qu’ils ont vécu une expérience magnifique. En premier lieu, pendant la période de découverte au cours des rencontres au sein des comités. Quel plaisir de lire et de pouvoir débattre de sa lecture avec d’autres personnes ! Quel plaisir de confronter amicalement les avis ! De constater notre propre subjectivité et d’ouvrir notre esprit à d’autres manières de voir. Ensuite, quel bonheur de rencontrer les romanciers, d’échanger avec des écrivains pas encore embaumés dans les pages du dictionnaire ! Et tout au bout, il y a le privilège de donner sa voix à celui que nous préférons et l’effervescence de cette compétition bienveillante.

La lecture des romans actuels reste un excellent instrument  pour la culture individuelle, parce qu’elle nous invite à un effort personnel dans un monde où les médias nous gavent de prêt à consommer. Le lecteur est une personne qui doit rentrer en elle-même, qui doit fabriquer les images  de ce qu’elle lit, qui mesure à chaque instant la distance entre sa propre pensée et celle qui lui est proposée à travers les personnages et les situations du roman. Le lecteur est quelqu’un qui bien souvent lève le nez de son livre, qui le rumine durant les pauses de sa lecture. C’est une personne qui analyse, qui réfléchit  et qui réfléchit sans doute mieux encore en confrontant son avis avec celui d’autres lecteurs ou avec celui de l’écrivain.

Et grâce à qui tout ça ?

On a compris que le prix Horizon est une grosse opération. Elle mobilise un bon nombre de bénévoles, à commencer par les membres du jury de sélection, les personnes chargées de l’accueil au festival, les animateurs des rencontres avec les auteurs, les amateurs participant au spectacle, les présidents des comités, et bien d’autres. Le personnel culturel de la ville de Marche se coupe en quatre pour que tout se passe bien. Celui de la province de Luxembourg et celui de la région Grand-Est rendent d’inestimables services.

Pour terminer, il faut naturellement mentionner le coût assez élevé de cette animation. Il convient donc de souligner que ce prix n’aurait pu exister sans l’engagement de la Ville de Marche, de la Province de Luxembourg, de la Région Grand-Est et de quelques sponsors (Ethias, Le Richelieu international, la Scam-Sacd, la Fédération Wallonie-Bruxelles, Wallonie-Bruxelles international.)  Et surtout, sans l’intelligence d’un bourgmestre convaincu que la culture fait partie des priorités politiques  d’une commune, il n’y aurait pas de prix Horizon.

Armel Job, 24 mai 2022


[1] Il est toujours possible de constituer un nouveau comité par simple demande à virginie.toche@ac.marche.be

[2] Lauréats : 2012, Muriel Magellan, Un refrain sur les murs, Julliard ; 2014, Hervé Bel, Les choix secrets, Jean-Claude Lattès ; 2016, Marie-Laure de Gazotte, À l’ombre des vainqueurs, Albin Michel ; 2018, Vincent Message, Défaite des maîtres et possesseurs, Seuil ; 2020 Florence HERRLEMANN, L’appartement du dessous, Albin Michel ; 2022, Constance JOLY, Over the rainbow, Flammarion.


[1] Principaux éditeurs qui ont envoyé des romans de 2011 à 2022

Acte-Sud, Albin Michel, Anne Carrière, Arléa,  Aube, Belfond, Calmann-Lévy, Campiche, Castor Astral, Cherche-midi, Christophe Lucquin, De Borée, Flammarion, Gallimard, Genèse, Grasset, Héloïse d’Ormesson, JC Lattès, Julliard, L’âge d’homme, La Différence, Laffont, Liana Levi, Luce Wilquin, MEO, Mercure de France, Michel Lafon , Minuit, Phébus, Philippe Rey, Québec Amérique, Rivage, Rouergue, Seuil, Stock, Weyrich, XYZ, Zellig