14-18 au jour le jour

Ecrire la guerre… »un journal de campagne c’est chose sacrée ! »

La publication des carnets du sergent des grenadiers Gustave Groleau, dans le cadre de l’exposition que lui a consacré le Musée royal de Mariemont, s’inscrit pleinement dans cet « entre les lignes » qui nous permet d’évoquer ce besoin d’écrire que certains d’entre nous connaissent à des moments cruciaux de leur vie. Dans le cas de Gustave Groleau ce moment crucial a duré quatre ans, a débuté en 1914 et s’est achevé en 1918. Avant cela il n’avait jamais rédigé autre chose que ses devoirs d’écolier, après cela il n’écrira plus hormis des documents administratifs dans ses fonctions de secrétaire communal de Houdeng.

Laurence Bouvin a 26 ans…elle est un peu plus âgée que Gustave Groleau au sortir de la première guerre mondiale. Elle anime les visites pédagogiques de l’exposition qui s’est achevée le 31 août dernier sous le titre : « Au jour le jour avec un soldat de 14-18 ». Elle raconte magnifiquement « son » exposition. Elle nous décrit les moments les plus émouvants, les plus importants, les plus quotidiens de cet homme qui a décidé de ne jamais avoir d’enfants parce qu’il ne voulait pas qu’ils deviennent de la chair à canon. Aujourd’hui, à quelques kilomètres du bourg de Houdeng-Aimeries qu’il quitta à l’âge de 20 ans, en abandonnant son emploi d’ouvrier de four à coke, des groupes d’enfants, de jeunes, d’adultes revivent à travers ses « carnets » la si tristement nommé « grande » guerre.

Comme le dit Laurence Bouvin, « on n’a jamais autant écrit que pendant cette guerre ». Gustave Groleau écrivait bien, il écrivait juste ! Le 12 avril 1916, sur base d’une dénonciation anonyme prétextant qu’il y tient des « propos antimilitaristes, anarchistes et antipatriotiques », il est convoqué par son lieutenant. Voici ce qu’il écrit de cet épisode blessant et humiliant. « Venir m’arrêter comme le dernier des bandits devant toute une compagnie, me fouiller , me confisquer les chose qui me sont personnelles, mon journal de campagne surtout ! Cela je ne le pardonne pas ! (…) On n’a aucun droit de saisir mon journal de campagne. C’est chose sacrée. »…

C’est ainsi qu’il est, le sergent Groleau, ouvrier de four à coke, au printemps de la deuxième année qu’il passe au front…Et quelle belle exclamation : « C’est chose sacrée ! »…pour désigner ce qu’il écrit.

Edmond Morrel

Le Musée royal de Mariemont a publié dans le cadre de cette exposition
- un livre reprenant des extraits sélectionnés et commentés du journal de Gustave Groleau édité sous la direction scientifique de Jacques Liébin.

- un DVD reproduisant la totalité du journal agrémenté de notes, de cartes et d’index ainsi qu’une sélection de photographies extraites des albums de Gustave Groleau.

extrait du carnet de gustave groleau :

Jeudi 22 avril 1915
J’ai choisi un emplacement où je prends les Allemands de dos. Je leur envoie pas mal de balles, mais je ne sais si elles font leur besogne. Je fais aussi travailler quelques hommes à l’amélioration d’abris. Les Boches travaillent également car, à la lueur des fusées, on les voit dans leurs tranchées ; ils sont canardés à fond. Les heures passent lentement et, à 3 h 30, je vais éveiller le chef de peloton et commande ensuite la corvée de nettoyage des boyaux de communication. Je mange ensuite une boîte de singe et m’étends alors sur ma paille fraîche. …à 10 h, on m’éveille pour prendre mon service de quart. Cela marche bien et on ne signale rien jusque 12 h que dure ma garde. Je mange alors encore et me recouche ensuite. Je me repose car la nuit, il pourrait y avoir un grand changement. Des renforts de zouaves arrivent ensuite en plein jour et à travers les champs. Ils sont reçus à coups d’obus et de shrapnells. Il y a des tués et des blessés. …. Voilà 18 h, le temps s’assombrit en même temps que commence un bombardement formidable. Les Allemands jettent du liquide asphyxiant et du soufre. Beaucoup de Français sont asphyxiés. Ils doivent reculer et laissent une compagnie et demi prisonnière … Nous, nous devions partir à l’aide des Français sur la droite… des cris et la canonnade terrible. On devient sourd et la mitrailleuse qui fauche. On ne se croit pas survivre à une scène d’enfer. Partout aussi la fusillade. On arrive enfin et nous occupons un malheureux boyau de communication … à 20 h, … les Allemands s’amènent par quatre pour nous attaquer. Nous sommes là une trentaine et quelques Français sans munitions. On leur lance la lumière du réflecteur pour les aveugler et alors on fusille les Boches. Il en tombe pas mal, la mitrailleuse nous aidant d’ailleurs. Quel massacre ! Chose bien terrible que la guerre ! Nous sommes là dans un cercle de feu, les obus éclatent autour de nous, les balles sifflent et partout aussi le rougeoiement de l’incendie. Les hommes tombent morts ou blessés. Quel carnage !