La double « Marge » de Jacques De Decker : à la suite de la lecture de sa « marge », dont vous trouvez le texte ci-dessous, Jacques De Decker improvise une déclinaison de celle-ci, inédite et à écouter.
Au café de la Régence, on voit surtout des joueurs d’échecs. C’est un peu comme au Greenwich à Bruxelles, rénové récemment, on y dénombre à peu près autant d’échiquiers que de tables, ou à l’Académie du Billard de la rue de Clichy, où les tapis verts attendent les amateurs sous les lampes basses.
Le philosophe est un habitué de la Régence, il s’y rafraîchit les idées loin de sa chambre dont il a plus que fait le tour. Il y fait des rencontres. Celle, par exemple, de ce sans domicile fixe dont le conversation l’enchante. C’est un philosophe à sa manière, simplement il n’a pas appris à déchiffrer la vie en lisant des livres, mais en s’immergeant dans la vie elle-même.
C’est un homme de talent, certes, mais il n’est pas reconnu, il bénéficie surtout de beaucoup moins de notoriété que son oncle, l’illustre Jean-Philippe Rameau. Il est le neveu de quelqu’un comme il arrive qu’on soit, dans la comédie sociale, les fils ou les frères ou les cousins d’autres. Singulière condition que de ne pouvoir se définir que par sa parentèle. Mais le philosophe n’a cure de cette condition. C’est le clochard magnifique qui l’intéresse, parce qu’il en sait infiniment plus que les doctes autorités, y compris celles qui plastronnent à l’Académie.
L’affrontement de ces deux esprits donne un des plus brillants et mémorables chocs verbaux qui soient. Parce que le philosophe qui s’y met lui-même en scène est Diderot. A peu près deux siècles après avoir été écrit, son « Neveu de Rameau », puisque c’est de lui qu’il s’agit, est apparu à des gens de théâtre comme une prodigieuse matière à spectacle.
Et c’est ce que l’on peut vérifier ces jours-ci dans un petit théâtre de la banlieue bruxelloise, la comédie Volter. Il s’y distille une captivante exécution de ce qui s’est avéré être une partition théâtrale qui s’ignorait. S’y affrontent un jeune acteur qui semble sorti d’une gravure du siècle des Lumières, Nicolas Pirson et un vétéran de haut vol, Michel de Warzée, pilier du théâtre belge qui y fait, sous la houlette de sa metteuse en scène, Stéphanie Moriau, la stupéfiante démonstration qu’une interprétation théâtrale peut être la plus pénétrante, la plus éclairante des modalités de la lecture.
On commençait presque à désespérer, à force de voir le théâtre ne plus entretenir avec le texte que de très lâches relations. Ces deux heures d’enchantement devraient faire courir tous ceux qui, en Europe, croient encore tant soit peu au génie de la langue française.
Le Thalys peut aussi être le véhicule des affidés de Thalie.
Jacques De Decker
« LE NEVEU DE RAMEAU » de Denis Diderot se joue à la Comédie Claude Volter à Bruxelles DU 21 SEPTEMBRE AU 15 OCTOBRE 2011
Avec Michel de Warzée et Nicolas Pirson dans une mise en scène de Stéphanie Moriau
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530