« Tout le talent du Monde »

C’est le livre qu’aimerait avoir écrit tout cadre d’entreprise qui a vécu une expérience à la limite du traumatisme et qui veut qu’une trace en soit conservée. Pour qu’un tel écrit puisse intéresser un cercle plus large que celui des parents, des collègues, de quelques curieux, il faut que plusieurs conditions extrêmement rares soient réunies. Que l’entreprise, d’abord, soit importante et concerne grand monde, et que le témoin-acteur- chroniqueur ait du talent. Elles sont miraculeusement réunies dans ce cas-ci.

Car il s’agit d’abord d’une « boîte » qui concerne effectivement énormément de monde, à Paris, en France, en Europe, un peu partout : elle se nomme d’ailleurs « Le Monde » et est l’un des plus prestigieux quotidiens de la planète des hommes, qui est plus souvent qu’on le voudrait une planète des singes, on le sait. Et puis, celui qui tient la plume est, même si l’on ne s’en est pas assez aperçu jusqu’ici, un grand écrivain, qui aura le loisir désormais de nous en fournir la preuve à l’envi. Si cela ne se savait pas assez jusqu’ici, même si Eric Fottorino a déjà décroché quelques prix, dont le Femina en 2007, c’est qu’il est journaliste, justement. Et on sait que l’étiquette de journaliste est l’une des plus encombrantes pour un auteur : il passe plus souvent pour un pisseur de copies que pour un ciseleur de chefs-d’œuvre. D’où l’excellente idée que vient d’avoir un éditeur de rappeler que quelques grands noms – Hugo, Dumas, Gautier – se seraient commis dans la presse.

En l’occurrence, l’alliage entre le sujet en question, « Le Monde » », et le narrateur, qui est aussi le héros de l’affaire, cela donne « Mon tour du « Monde », qui vient de paraître chez Gallimard, et à propos duquel Paris semble observer – provisoirement sans doute- un silence prudent. C’est que l’issue imminente du scrutin présidentiel ne pourra qu’influer, l’opportunisme sévissant , sur le traitement de cet ovni : un grand et gros livre sur un sujet brûlant, écrit avec un ton, un style, un regard qui trahissent l’écrivain de race. Selon que Nicolas Sarkozy se retrouve président ou non, seront traitées avec plus ou moins de réserves les scènes où l’on voit le président tenter, entre le café et les toast du petit déjeuner sur la terrasse de l’Elysée, de faire pression sur celui qui, de 2007 à 2010, se trouva à la tête du quotidien de référence français.

Mais il n’y a pas que ces scènes dans cette brique de plus que cinq cents pages que l’on n’arrive pas à lâcher, à ceci près qu’elles sont décrites avec l’art d’un romancier aguerri, qui n’a pas ses yeux et ses oreilles dans la poche, et a les moyens de coucher les choses vues sur le papier. Il y a le récit de vingt-cinq ans d’observation de notre monde depuis la vigie exceptionnelle qu’est un grand journal. Pour ceux qui l’ont vécu, et pour tous ceux qui n’ont pas eu cette chance, ce livre n’a véritablement pas de prix.

Jacques De Decker

Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes

Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69

Référence : NAXOS 8.572530