Qui se souvient encore qu’il exista jadis un Enfer de la Nationale ? C’était un département de la vénérable Bibliothèque parisienne située rue de Richelieu, où l’on pouvait avoir accès, moyennant autorisation et après avoir attesté de la respectabilité de ses intentions, aux ouvrages qui étaient par ailleurs « interdits à l’étalage », comme on disait. Aujourd’hui que s’étalent chez les libraires des publications qui se permettent toutes les outrances, cet usage semble antédiluvien. Or, longtemps, sans montrer patte blanche, on n’aurait pu consulter, à moins de connaître un collectionneur spécialisé, ou d’avoir recours à des circuits parallèles ou clandestins, les écrits érotiques de Pierre Louÿs. Aujourd’hui, ils sont en vitrine des meilleures librairies, et recommandés dans un magazine à gros tirage par Jean d’Ormesson lui-même. Il est vrai qu’ils paraissent dans une collection où Jean d’O pour les intimes aime à publier ses livres anciens, comme il le fait ses jours-ci pour ses romans d’amour de jeunesse : il s’agit évidemment de Bouquins, cette très souple réplique à la plus raide Pléiade. Il faut le dire tout net : cette édition de l’ « Œuvre érotique » signée Louÿs est un événement.
C’est que Louÿs n’était pas un inconnu, loin de là. Un petit maître, certes, que l’on savait très lié à Paul Valéry. Il se connaissaient depuis le Lycée, avaient abondamment correspondu, s’étaient abondamment fréquentés durant toute leur vie, plus courte de vingt ans dans le cas de Louÿs, puisqu’il est mort en 1925, tous deux étant nés en 1870. Valéry venait du Sud, de Sète très exactement, la ville dont il chanterait « Le Cimetière marin », et Louÿs du Nord, puisqu’il était né par hasard à Gand, descendant par son père d’un pair de France, par sa mère d’un médecin de Napoléon. On ne lui connut pas d’emploi absorbant, à la différence de Valéry qui dut longtemps occuper d’humbles fonctions : Louÿs put donc se vouer entièrement à la littérature. Traducteur, érudit (il fut le premier à lancer l’hypothèse que l’œuvre de Molière pourrait être en partie due à Corneille), poète, prosateur, il dut longtemps sa notoriété à des livres osés sans être contraires aux conventions de l’époque, mais qui provoquèrent sans doute bien des émois adolescents : « Les Chansons de Bilitis », « Aphrodite », et surtout « La Femme et le pantin », qui date de 1898 et eut droit à des adaptations filmées notoires, dues surtout à leurs stars féminines, Marlène Dietrich (dirigée par Joseph von Sternberg) et Brigitte Bardot.
Tout cela parut avant 1900, ce qui fit dire à un commentateur, dans les colonnes du dictionnaire des auteurs paru dans la même collection Bouquins, qu’il fut « frappé d’une brusque stérilité ». L’expression est doublement malheureuse, car non seulement il continua à écrire d’abondance, mais mena une vie sexuelle des plus actives. Le problème c’est cette frénésie, dont nous avons maintenant de nombreuses preuves, lui inspirait des écrits dont la censure de l’époque aurait résolument interdit la circulation. Il les publiait donc très discrètement, ou le plus souvent les réservait à ses tiroirs, au point que l’on découvrit, à sa mort, quelques quatre cents kilos de manuscrits ne traitant exclusivement que de sexe. On y trouvait aussi bien le registre très précis de ses fredaines que des récits, poèmes, chansons, comédies, soties auprès desquels ses œuvres divulguées ne sont que roupille de sansonnet. De cette masse énorme, Jean-Paul Goujon a sélectionné, sans revendiquer aucune exhaustivité, mille pages très souvent drôles, toujours magistralement écrites, qu’il est difficile de citer sans user de mots que l’on remplaçait autrefois par des points de suspension. Ici, tous les chats portent leurs noms et ne sont pas gris.
Jacques De Decker
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530