Après Dominique, Jacqueline. La première, Dominique Rolin vient à peine d’avoir eu droit à ses funérailles à deux pas des éditions Gallimard et Denoël, qui l’ont si fidèlement accueillies, dans cette église dédiée à Saint Thomas d’Aquin qui est l’un des trois lieux de culte qui jalonnent le Quartier Latin, les deux autres étant consacrés à Saint Germain et à Saint Sulpice que, dans ce Bloomsbury de Bruxelles, entre chaussée de Waterloo, avenue De Fré et avenue Brugman, vient de s’éteindre Jacqueline Harpman. Elle avait seize ans de moins que son aînée, mais formait avec elle, l’évidence apparaît d’autant plus criante par cette proximité dans la mort, un singulier tandem de romancières extra-lucides, tranquillement et insolemment novatrices. Deux femmes fascinantes au demeurant, la blonde et la brune, passionnées et passionnantes, qui avaient fait de leur art une aventure hardie et toujours surprenante, et avaient le don d’orienter leurs lecteurs dans des voies inattendues, jamais rabâchées, qui élargissaient le champ du romanesque avec une intrépidité sans égale.
Harpman, à la différence de Rolin, connut une carrière en deux temps. Elle débuta autour de la trentaine avec un roman, « Brève Arcadie », qui lui valut d’emblée le prix Rossel. Il avait paru chez Julliard qui, de ce temps-là, n’avait pas son pareil pour débusquer de jeunes talents féminins : c’est chez lui, ne l’oublions pas, qu’avaient explosé coup sur coup les bombes Sagan et Mallet-Joris. Harpman partait donc sous les meilleurs auspices, mais s’arrêta en plein envol. Elle avait un mariage à liquider, se lançait dans un autre, qui fut le bon, avec le poète et architecte Pierre Puttemans, et se découvrait une nouvelle vocation en se vouant à la psychanalyse.
Son excellente exégète Jeannine Paque a bien montré le sens de cette brèche fertile dans l’itinéraire d’une romancière d’une exceptionnelle originalité. A la différence de beaucoup d’autres qui s’enlisent dans une psychanalyse de comptoir faute d’en avoir véritablement sondé les profondeurs, Harpman a transcendé sa science psychanalytique, qu’elle continua à pratiquer parallèlement, dans la création littéraire parce qu’elle savait que l’écriture a bien plus de libertés et de moyens d’investigation que les confessions sur le divan . Elle s’en est servie, certes, mais ne s’est pas laissé asservir par elle. Cela s’est senti dès son deuxième début, « La fille démantelée », qui prenait à bras-le-corps la question clé de la psyché féminine, à savoir la relation mère-fille. Le ton était donné d’une nouvelle époque, où elle défierait, de livre en livre, des thèmes des plus redoutables, ayant trait aux vrais et divers visages de l’amour, à la relation entre les sexes plus multiples que la simple distinction du féminin et du masculin – c’est le sens de cette parodie plus sérieuse qu’apparemment frivole de l’ « Orlando » de Virginia Woolf qui lui valut le prix Médicis, et aussi de son livre les plus mystérieux, mais qui contient l’une des clés de son œuvre, « Moi qui n’ai pas connu les hommes » – à la question, fondamentale, de l’identité.
L’œuvre de Harpman, savoureuse et vertigineuse à la fois, n’a certainement pas livré tous ses secrets. Il y a beaucoup de gravité sous son humour, d’austérité sous ses allures de divertissement de bonne compagnie, et surtout une connaissance infinie de nos dédales intérieurs, où elle savait nous orienter parce qu’elle en détenait, au bout de sa plume, le plus précieux et le plus talentueux des fils d’Ariane.
Jacques De Decker
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530