Félicien Marceau n’atteindra donc pas le siècle. Ce n’est pas faute d’avoir bien occupé son temps et son époque. Si bien que ça ?, diront les grincheux. Il est vrai qu’il a subi de plein fouet, alors que son talent commençait de s’épanouir, les funestes conséquences des « événements », comme on a tendance à dénommer des périodes de troubles dont on veut minimiser l’ampleur, qui se produisirent en Belgique durant la deuxième guerre mondiale. Il fut de ces intellectuels qui, sans manifester une adhésion explicite aux menées de l’occupant, s’en accommodèrent suffisamment pour être assimilés, à la Libération, aux collaborateurs.
Un écart de ce genre peut coûter cher à un écrivain. Son ampleur importe peu : il suffit souvent à discréditer l’auteur non seulement en tant que citoyen, mais en tant que penseur. C’est ce qui est arrivé à Louis Carette, l’un des plus brillants écrivains belges de sa génération, qui ne vit dès lors son salut qua dans une rupture nette avec son pays natal. Dans son remarquable livre de souvenirs « Les années courtes », il s’est expliqué là-dessus de manière satisfaisante et, de plus, avec beuacoup de brio, ce qui a toujours été l’essentiel de sa manière.
En France, on lui fit bientôt fête : dès les années cinquante, après un séjour en Italie qui lui servit en quelque sorte de purgatoire, il s’imposa comme une des personnalités les plus éclatantes des lettres françaises, précisons-bien françaises, en s’inscrivant avec une réelle virtuosité stylistique dans le courant des Hussards, par lesquels il fut admis les bras ouverts. Certains de ceux-ci, comme Michel Déon, avaient aussi un passé marqué par la droite intellectuelle. On comprend qu’il y ait eu là comme une connivence, une proximité d’esprit qui facilitèrent les choses. Précisons pourtant que celui qui se faisait appeler désormais Félicien Marceau ne fut jamais un idéologue explicite. Il l’était parfois malgré lui, au détour d’un paragraphe de roman, ou d’une réplique de théâtre, mais cela s’arrêtait là.
Comme toujours, quand une voix se tait, on est en droit de se demander si on continuera à l’entendre. La réponse n’est guère aisée. On ne s’aventurera pas beaucoup en postulant que son monumental « Monde de Balzac » défiera le temps, comme ses essais sur Casanova, fruits d’un double cousinage dû au goût du bonheur et à l’amour de l’Italie, résisteront à l’usure du temps. Pour ses romans, on, est en droit de ses demander s’ils bénéficieront de l’indulgence de la postérité. Il faudrait pour cela que l’Université, qui lui a préféré les expérimentations du Nouveau Roman, se mette à s’intéresser à lu.
Et puis, il y a son théâtre, qui triompha sur le boulevard, alors qu’il méritait mieux que cela. Il fut un temps, comble de l’ironie, où on le comparaît à Brecht, en raison de son style assimilable au théâtre épique . Aujour’d’hui, seuls les amateurs puisent encore dans ce répertoire. Marceau, qui se tut à l’aube de ce siècle, y sera-t-il un jour renfloué ou est-il voué au cimetière des écrivains symptomatiques de leur temps ? La question, au lendemain de son dernier souffle, reste entière.
Jacques De Decker
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530