Les meilleurs livres sont en fait des bibliothèques. L’un des plus illustres d’entre eux, la Bible, en donne le parfait exemple. Et aucun livre, dans notre civilisation du moins, ne l’a jamais égalé. Mais il en est qui lui ressemblent, fût-ce à très petite échelle ; Et je citerais parmi ceux-ci les recueils d’essais de Simon Leys. Il nous en a donné trois déjà, forcément très présents à la mémoire de ceux qui ont eu le bonheur de les lire, je veux parler de « L’Ange et le Cachalot », de « Protée et autres essais » et de « Le Bonheur des petits poissons ». Voici, pour notre plaisir et notre édification, « L’Atelier de l’inutilité ». Il réunit, comme les précédents, des textes divers parus ailleurs, articles, préfaces, discours, écrits que l’on nomme parfois « de circonstance » mais qui, distingués de la circonstance qui les a suscités, acquièrent leur autonomie, et gagnent du coup en signification.
C’est facile à démontrer : lorsqu’on lit une préface, par exemple, on la lit dans la perspective du livre qu’elle précède, et donc avec un sentiment de relativité et de subordination. Isolée de ce contexte, on la lit pour elle-même. Beaucoup de préfaces ne résistent pas à cette épreuve, et révèlent du coup qu’elles étaient largement inutiles. Avec Leys, il s’agit souvent du contraire : son texte est fréquemment supérieur à ce qu’il est sensé mettre en valeur et, lu pour lui-même, il brille davantage de tous ses feux.
A quoi cela tient-il ? D’une part, à l’immense culture de Leys, qui situe toujours l’ouvrage dont il part – mais dont il ne parle pas toujours – dans un contexte plus large, à une autre altitude, qui lui appartient en propre, et qui est celle d’un intellectuel modestement planétaire. Modeste parce qu’il ne se hausse jamais du col, planétaire, parce que ce Belge – souvent en délicatesse, comme on dit, avec la Belgique – écrit en trois langues, le français et l’anglais et le chinois, vit pour l’essentiel de son temps en Australie, publie à Paris, à Londres ou à New York (je parle de la version originale de ses textes), bref considère le monde d’une vigie que pourrait seulement supplanter un poste d’observation situé sur un autre vaisseau spatial que la terre.
Mais ce que Leys a de plus singulier, en dehors du caractère exceptionnel de son point de vue, c’est son ton. Il est reconnaissable entre tous, par sa fausse impavidité, par son humour jamais irresponsable, par son sérieux jamais dogmatique, par sa concision qui préserve son lecteur de tout temps perdu, par ce que l’on voudrait résumer au moyen de ce mot qu’il a décapé de toute l’ironie sotte qui le dénature aujourd’hui, je veux parler de sagesse. Il connaît cette notion comme personne, il l’a étudiée chez les maîtres orientaux qui l’ont, très jeune, mis sur la voie d’une qualité d’exercice de la pensée dont il est l’un des très rares dépositaires de nos jours. Ses écrits sont des quintessences de sagesse, ce qui explique que malgré leur aspect atypique, très différents des normes et des formats du temps, ils rassemblent autour d’eux de plus en plus de lecteurs, ou plutôt non : de fidèles.
Jacques De Decker
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530