« Résilience au féminin » Peintures et sculptures de Geneviève Philippart et Caitlin Moens.
Du 24 au 26 novembre 2023, le centre culturel de Woluwe Saint Pierre accueille les œuvres de Geneviève Philippart et de Caitlin Moens. Les sculptures de l’une et les peintures de l’autre s’inscrivent dans une thématique d’une actualité hélas toujours renouvelée, la violence faite aux femmes. Avec Résilience au féminin, les deux artiste nous invitent à l’appréhender par l’émotion esthétique, mais aussi par la force de l’image, des formes, des couleurs, des compositions. On ne peut que regretter la brièveté de cette exposition. Qui sait, le succès public au rendez-vous de ces deux journées permettra de prolonger l’exposition de deux talents réunis ici pour la première fois ? Il sera proposé au public de participer à une œuvre collective sur la sororité le samedi 25 novembre à 15h30. Nous avons interviewé Geneviève Philippart et Caitlin Moens quelques jours avant l’exposition… Jean Jauniaux
Informations pratiques: « Résilience au féminin »/Peintures et sculptures de Geneviève Philippart et Caitlin Moens./Vernissage : Jeudi 23 novembre 2023 à 18h00/Salle Forum/EXPOSITION du 24 au 26 novembre 2023 de 13h à 18h
Possibilité de participer à une œuvre collective sur la sororité le 25/11 à 15h30
Adresse : WHalll – Avenue Charles Thielemans 93 1150 Woluwé-Saint-Pierre
Rencontre avec les deux artistes:
Jean Jauniaux : Geneviève Philippart et Caitlin Moens, pourriez-vous nous dire quels ont été vos parcours artistiques respectifs ?
Geneviève Philippart : J’ai toujours aimé peindre, depuis l’enfance. Je fréquentais des ateliers de peinture le mercredi après-midi. Mes longues études de médecine m’avaient éloignée de cette passion initiale. Dans les années 90, j’ai suivi quelques cours aux ateliers Machri. Puis ma profession a rempli ma vie ainsi que mes enfants, dont Caitlin (Sourire) … jusqu’à ce que doucement ils quittent le nid, me laissant un peu plus d’espace. J’ai eu envie d’apprendre à dessiner. J’ai suivi les ateliers pluridisciplinaire à l’Académie des arts de Woluwe-saint-Pierre. Mon choix s’est ensuite porté vers la sculpture que je ne connaissais pas. Je croyais – à tort- que la sculpture se limitait à la terre, le bois, la pierre. Je me suis progressivement orientée vers les installations qui m’ouvraient un champ énorme de possible et d’inspiration.
Caitlin Moens : Depuis toute petite, maman nous a transmis sa passion pour l’expression créative. J’ai toujours adoré dessiner et peindre. Enfant, j’ai suivi des cours de dessin. J’ai repris l’académie des Beaux-Arts à Namur lorsque j’ai commencé à étudier le droit. J’avais hésité entre des études artistiques et juridiques : ce sont mes idéaux de justice qui ont finalement inspiré mon premier choix. Bien vite, confrontée aux difficultés de mon métier d’avocate en droit des étrangers et notamment aux situations humaines particulièrement difficiles, j’ai constaté que l’expression créative était mon refuge pour y faire face. J’ai ensuite décidé de me réorienter vers l’art-thérapie.
JJ: Peintures et sculptures composent l’exposition au cours de laquelle le public est invité à participer à une oeuvre collective consacrée à la sororité. Comment est apparue la thématique de la « résilience » ?
GP: La thématique de la résilience nous est apparue en fin de parcours. Le projet s’est élaboré progressivement, le travail de Caitlin faisant écho au mien et vice-versa . Nos idées mutuelles stimulaient notre créativité, nous répondant en miroir. Au moment d’établir le canevas de l’exposition, la mise en parole et en écriture de ce que nous voulions dire au travers de nos oeuvres a fait surgir ce terme de résilience. Nous avons utilisé des matériaux recyclés et de vieux objets qui symbolisent à la fois la résilience des femmes face à l’adversité et la nécessité de recycler les traumatismes pour créer quelque chose de beau et significatif. Nous voulions un message d’espoir et non un étalage dur de toutes les violences qu’ont subi ou subissent encore les femmes de par le monde.
JJ: Geneviève Philippart, votre professeur à l’académie de Woluwe Saint Pierre préconise que toute matière peut donner lieu à une oeuvre, une sculpture. Pourriez-vous nous indiquer en quoi cette approche correspond à votre propre démarche? En quoi l’a-t-elle suscitée ou encouragée?
GP: Patrick Guns, féru d’art conceptuel, en me poussant au-delà de mes limites m’a permis de laisser libre cours à mon imagination fertile . Grâce à lui, j’ai compris que tout était possible. La thématique était donnée, libre à nous de l’exploiter. Il fallait d’abord réfléchir au concept, à l’idée et au sens de l’oeuvre, puis envisager par quel moyen la matérialiser. En sortant de mes limites , je découvrais un autre monde. Décomposer pour recréer. J’ai ainsi travaillé au départ de vieilles chaussures usées. Au début, découper la chaussure , un objet utile, même usagé était presque inconcevable, je ne voyais pas quoi en faire mais quand je l’ai libérée de la semelle et découvert comment elle était faite, j’ai d’abord été admirative de l’ingéniosité de ceux qui l’avait conçue, puis rapidement, j’ai su comment lui donner une seconde vie en faisant un nouvel objet qui a ensuite donné tout son sens à l’oeuvre .
JJ: Caitlin Moens, inspirée par les oeuvres de de Geneviève Philippart, votre maman, vous avez initié cette exposition. En quoi vos peintures s’inscrivent-elles dans le sillage des sculptures de Geneviève Philippart?
CM: J’ai toujours eu envie de réaliser une exposition d’art engagé. J’ai accompagné beaucoup de femmes victimes de violences dans mon métier d’avocate. Ces dossiers étaient ceux qui me touchaient le plus. Geneviève Philippart ayant créé une oeuvre sur le thème, cela a tout de suite été une évidence pour moi : nous devions créer une exposition ensemble. Suite à ma reconversion professionnelle, j’ai souhaité donner une voix, et rendre hommage à toutes ces femmes en utilisant l’art comme moyen d’expression. Les sculptures et la démarche de Geneviève Philippart ont été une source d’inspiration et ont donné le cadre pour nourrir ma créativité, à la fois concernant le thème, mais aussi la démarche de transformer des objets et matériaux récupérés.
JJ: Vous êtes mère et fille: en quoi l’entrelacement du regard de deux générations de femmes a-t-il nourri le dispositif de l’exposition
GP: L’année du Covid, l’académie a fermé ses portes . En réfléchissant au projet d’une exposition, un jour de novembre en plein confinement et en entendant une émission radio sur le féminicide une idée a germé. Ce projet couve donc depuis 3ans, le temps de le peaufiner et de laisser à Caitlin celui de devenir mère pour la deuxième fois.
CM: Le fait de créer une exposition à deux m’a inspiré sur les transmissions intergénérationnelles. L’exposition dénonce les violences actuelles, mais aussi passées, subies par les femmes des générations précédentes, et également par notre lignée. Beaucoup de femmes n’ont pas pu dénoncer les violences subies à l’époque et cette exposition est aussi l’occasion de leur donner la voix, et de libérer les générations futures du poids que l’on porte parfois inconsciemment.
JJ : Vous allez proposer au public de participer à la création d’une œuvre collective (samedi 25 novembre à 15h30) . Comment décririez-vous ce que vous attendez de cette invitation inattendue ?
CM: L’oeuvre collective s’inscrit dans la lignée du mouvement #ME TOO. C’est parce qu’un mouvement s’est créé que les femmes osent dénoncer. Ceci était inenvisageable dans le passé pour de nombreuses victimes. Sans tout dévoiler, l’idée de l’oeuvre est donc de permettre, par l’expression créative, de dénoncer des violences subies soi-même, ou par des proches/connaissances qui n’ont pas pu le faire à l’époque. J’espère donc que le public participera à la création de cette oeuvre symbolisant la sororité.
GP : L’idée vient de Caitlin. Il s’agit, par la solidarité et la connexion (sororité) avec les autres femmes présentes de se libérer ou de libérer des femmes des générations précédentes des non-dit et des violences subies par un geste symbolique dans l’élaboration d’une oeuvre. Les jeunes sont davantage dans cette mouvance. Pour moi il s’agit d’une forme de thérapie de groupe, qui n’est pas étrangère au nouvel horizon de Caitlin dans l’art-thérapie. Le moment sera peut-être très fort, tout dépendra du public. Il sera introduit par un chant très beau au verbe puissant. Je pourrais ajouter que dans ma génération, il y avait beaucoup de non-dit et de secret de famille, des « valises » véhiculées inconsciemment de mère en fille. Il m’a fallu attendre la cinquantaine et la mort de mes parents pour en prendre conscience. Nos enfants entament ce chemin beaucoup plus tôt pour mieux vivre et c’est une démarche bénéfique.
JJ: Quelle est votre perception à l’une et l’autre de la fonction et la nécessité de l’art dans la société dont nous vivons au quotidien une violence constante?
GP: S’il y a violence, dans notre société c’est qu’il y a colère par frustration. Les causes en sont multiples. L’art est une ouverture, une autre manière de penser et de voir les choses: porter le regard au-delà, ressentir l’écho en soi pour mieux se comprendre ou communiquer avec l’autre au travers de la création, pour qu’il puisse se sentir compris, voire aimé. L’art est un baume apaisant, comme la poésie est la politesse du désespoir. L’art peut véhiculer l’amour et la bienveillance dont le monde a tant besoin. Je crois que c’est la trace que je voudrais laisser dans mon sillage.
CM: Pour moi, en tant que spectatrice, l’art a un effet de catharsis, et permet également de nourrir positivement la sensibilité qui peut être bien mise à mal par la violence de ce monde. L’expression créative permet de ventiler ses émotions, relâcher des tensions, prendre distance, voir les choses sous un autre angle, donner accès à l’inconscient.
JJ: en quoi la pratique de l’art peut-il aider à la résilience?
CM: Selon le psychologue analytique Jung, le processus de création mobilise l’imaginaire de la personne souffrante, l’incite à l’action et la rend responsable de son cheminement. Selon l’art-thérapeute Jean-Pierre Klein, en créant des œuvres personnelles, la personne va pouvoir mieux se réapproprier sa vie, la recréer. L’activité artistique va donc remettre la personne en mouvement. Utiliser les métaphores, les images, l’expression artistique, le jeu va activer l’hémisphère droit du cerveau et permettre d’appréhender les problèmes de manière différente. L’expression créatrice permet de reconstruire autrement, d’ouvrir le champ des possibles. Placée dans une démarche créative, la personne va pouvoir se reconnecter à sa propre créativité, et reprendre confiance en ses capacités de faire face aux difficultés, de recréer sa vie. Selon moi, l’expression créative peut véritablement aider sur le chemin de la résilience.
GP: L’art permet d’ouvrir l’inconscient et de libérer les blessures. Elles ne deviennent conscientes qu’a la relecture de l’oeuvre. Les libérer permet de les travailler et d’évoluer. C’est sa vertu thérapeutique ,ce qui permet d’accéder à la résilience.
JJ: la musique interviendra dans le cours de l’exposition par un chant. Vous pouvez nous en dire davantage?
CM: je vous en laisse la surprise… (sourire) mais je peux vous dire que l’émotion sera intense…