Léon Battista Alberti, le magicien de la Renaissance de Yann Kerlau, Albin Michel, 247 p., 22,90 € (numérique 15,99 €)
Difficile de cerner Yann Kerlau dont les notices biographiques aiment à souligner la carrière exemplaire de cet avocat, que le talent, l’énergie et l’acharnement au travail ont propulsé à la tête d’un des grands groupes français de l’industrie du luxe. En réalité, c’est dans sa bibliographie que l’on trouvera l’identité véritable et essentielle : celle d’un écrivain. Mais là aussi, il ne faut pas se laisser détourner par la variété des ouvrages qui composent la bibliographie de celui qui entra dans l’écriture en 1989 avec une biographie publiée dans la prestigieuse maison d’édition Perrin : Cromwell : la morale des seigneurs (Perrin, 1989). Suivront d’autres essais historiques et biographiques (Les Aga Khans (2004), Les secrets de la mode (2013), Chercheurs d’art (2014), Les Dynasties du luxe (2016), Pierre Bergé sous toutes les coutures (2018).
L’attention du lecteur devrait être attirée par deux titres qui se singularisent. Il s’agit de deux romans : L’échiquier de la Reine (2010) et L’insoumise (2017). Le choix de l’écriture romanesque dans ces deux livres (le premier, un journal apocryphe de Christine, reine de Suède ; le second un roman centré sur Jeanne de Castille) a permis à Yann Kerlau de mettre en évidence ce qui, dans la personnalité de ses protagonistes, éclairait d’une lumière singulière le destin universel qui leur échut.
Avec son dernier ouvrage, Léon Battista Alberti, le magicien de la Renaissance , l’écrivain allie l’exigence documentaire et érudite de l’historien à une écriture « au plus près » de son personnage. Derrière (et au-delà) de la biographie de l’humaniste du Quatroccento, on découvre l’œuvre démultipliée du philosophe, mathématicien, architecte qu’il fut. Pour mener à bien l’évocation de son personnage – dont on peut déplorer l’oubli dans lequel il est tombé hormis au sein des cercles spécialisés, contrairement à Pétrarque, Dante ou Boccace – Kerlau choisit avec bonheur de se placer au plus près de lui. Ce choix d’un point de vue à la fois omniscient et proche, est un choix que le romancier avait poussé à son point incandescent avec L’échiquier de la Reine, écrit sous la forme d’un journal intime de Christine de Suède. (Nous avions rencontré Yann Kerlau à la sortie de son roman : http://edmondmorrel.be/?p=2679 ). Autre constante dans l’ouvrage de Kerlau: la volonté de mettre en lumière les « ponts » qui relient le XVe siècle à ceux qui l’ont précédé autant que suivi, l’actualité de certaines considérations philosophiques, politiques, éthiques et esthétiques d’Alberti que l’historien invite à mettre en oeuvre aujourd’hui.
L’historien a consacré plusieurs années à lire les œuvres de son personnage et à s’en imprégner. La bibliographie, en fin de volume, pourrait donner le vertige. Il aborde de multiples sujets, il adopte différentes formes littéraires : l’écriture chiffrée, la pratique et l’amour de l’équitation, les Divertissements mathématiques, les Propos de table cotoient des traités savants et novateurs (De l’art d’édifier, De la statue…). L’écrivain replace son sujet dans le contexte stimulant de la Renaissance italienne et plaide en l’exaltant l’humanisme qui « ne se borne pas à être un mouvement littéraire et artistique. C’est un appel que le savoir adresse à l’humanité entière. » Kerlau dit à chaque étape de la vie d’Alberti la curiosité enthousiaste qu’elle lui inspire et rend cet enthousiasme heureusement contagieux. On l’envie presque d’avoir lu ces ouvrages qu’il commente à notre intention, partageant avec Alberti l’inquiétude derrière laquelle « se cache un écrivain recherchant sans relâche l’absolue perfection de ses écrits ». Ainsi admire-t-il dans » L’Art d’édifier la raison, la sagesse et la beauté s’alliant pour l’éternité. » On imagine qu’il aurait volontiers fait sienne la devise de son modèle, « deux mots courts Quid tum?, cet « Et alors? » qui symbolise l’éveil et l’infini besoin de savoir de Battista ».
Kerlau rend un hommage érudit, sensible et passionnant à celui dont il dit, au début de son ouvrage : « La profondeur de ses œuvres et le fait qu’elles n’aient jamais été publiées de son vivant, je l’ai vécu comme une souffrance insupportable pour quelque écrivain qu’il soit. Comment ne pas crier à l’injustice ? » Il ajoute, s’adressant au lecteur, « Ces œuvres, je les voudrais vôtres »
Cet engagement est tenu tout au long des 200 pages du livre qui se lit d’une traite et donne envie d’aller lire Battista Alberti. Kerlau prête à son illustre modèle cette phrase qui conclut le livre « Mourir n’empêche pas les autres de se souvenir de nous. Soyons en convaincus » Aujourd’hui, grâce au livre de Yann Kerlau, on pourrait ajouter « Réjouissons nous en ! »
Jean Jauniaux, 25 janvier 2023.
Nous avons rencontré Yann Kerlau.
Il nous parle de son roman dans une interview parue sur la chaîne Youtube de ‘L’ivresse des livres » : https://youtu.be/xg0aiAeh9Ok
S’il est impossible d’évoquer l’humanisme, les splendeurs et les révolutions du Quattrocento sans aussitôt penser à Pétrarque, à Dante et à Boccace, il est un autre homme dont le nom, moins souvent évoqué, mérite pourtant lui aussi de figurer parmi ces illustres acteurs de la Renaissance italienne. Cet homme, c’est Leon Battista Alberti. Qui était-il ? Un architecte ? Un homme de lettres ? Un philosophe ? Un mathématicien ? Un artiste ? Véritable magicien capable d’exercer tous les métiers et de montrer tous les visages, Alberti échappe aux tentatives de définition. De cet homme universel on ignore tout, ou presque.
Dans cet ouvrage, Yann Kerlau offre le portrait kaléidoscopique d’un humaniste fascinant et de son œuvre intemporelle. «Quand les premiers livres d’Alberti arrivèrent chez moi, j’eus l’impression d’entrer dans un labyrinthe. Des milliers de pages où l’invention de la perspective, la raison ou la folie, la religion et sa finalité, la danse subtile des chiffres et de l’algèbre, le mariage ou le désir sont dépecés pour livrer toute leur complexité. La profondeur de son œuvre est un défi lancé au monde pour que l’humanisme, au fil du temps, incarne la seule voie à suivre : celle du savoir qui n’est pas derrière nous, mais devant.»
Yann Kerlau est l’auteur, aux éditions Albin Michel, de L’Insoumise (2017), roman historique mettant en scène la reine Jeanne de Castille, et d’une biographie consacrée à une figure phare de l’univers de la mode, Pierre Bergé sous toutes les coutures (2018).
Avocat puis directeur juridique du groupe Yves Saint Laurent Parfums de 1988 à 1995, Yann Kerlau est ensuite engagé, en 2000, par le groupe Gucci comme directeur général d’YSL Beauté. Il y restera huit ans et y retrouvera Pierre Bergé au conseil d’administration. Se consacrant aujourd’hui entièrement à l’écriture, Yann Kerlau est à la fois biographe (Cromwell, La morale des seigneurs, Perrin, 1989 et Les Aga Khans, Perrin, 1990), essayiste, critique littéraire et auteur de romans, dont le dernier en date, L’insoumise, a été publié aux Éditions Albin Michel en 2017. Yann Kerlau a également écrit Les secrets de la mode (Perrin, 2013) et Les dynasties du luxe (Perrin, 2010).