La Fondation Maurice Carême, dirigée avec une énergie et un enthousiasme infatigables par François-Xavier Lavenne, a pour vocation de préserver et valoriser l’oeuvre du poète. L’essentiel de cette activité prend sa source dans la « Maison blanche », siège de la Fondation, mais surtout maison que le poète a construite à Anderlecht et où il a vécu jusqu’à son dernier jour. La maison est aujourd’hui à la fois un musée (où sont notamment conservées les archives et manuscrits) et une « maison d’écrivain » que l’on peut visiter (sur réservation). « Il y a là un émouvant prolongement de la lecture du poète. Chacune des pièces a été conservée intacte depuis le jour de sa mort: la cuisine baignée de la lumière du jardin, le salon et la salle à manger dont les murs sont autant de cimaises pour les amis artistes -Delmotte, Delvaux, Somville, Lismonde, Wolvens.. – enfin, le bureau où crayons, cahiers et dictionnaires de rimes semblent attendre son retour. »
Le recueil « Brabant » est disponible à nouveau dans une très belle composition des Editions du CEP initiée par Richard Miller. Ci-dessous, le visiteur de « L’ivresse des livres » pourra découvrir la préface de Jacques De Decker. Il s’agit de la retranscription d’une chronique enregistrée en octobre 2011 dans le cadre des « Marges et contre-marges », mises en lignes sur le site www.espace-livres.be. Jacques De Decker nous confiait alors: « J’ai eu le bonheur très jeune de très bien connaître Carême. C’était un artisan de la poésie. (…) Carême est non seulement l’un des grands ambassadeurs de la langue française, mais l’un des rares poètes connus aux quatre coins du monde (…). Chez Carême on dirait que le charme agit continûment.(…).
Dans sa postface, Une Arcadie nommée Brabant, François-Xavier Lavenne nous guide « au travers de la poétique de l’émerveillement que déploie Maurice Carême. » (…). Eclairée par une érudition souriante, la lecture que nous propose Lavenne nous décrit l’inspiration du poète, « tendue vers une terre promise, une terre qui contient une double promesse, celle de l’enfance retrouvée et de la poésie qui ne se perd jamais. »
Dans l’actualité des rééditions d’oeuvres de Maurice Carême, figurent également celle de « MEDUA » (Editions Piranha) et celle du roman « Le martyre d’un supporter » (Espace-Nord). Nous y reviendrons.
Jean Jauniaux, le 8 octobre 2022.
Sur le site des éditions du CEP:
Le recueil de poèmes intitulé « Brabant » était depuis trop longtemps épuisé. En accord avec la Fondation Maurice Carême, les éditions du CEP republient dans son intégralité (200 poèmes) cette œuvre de l’écrivain belge, avec Simenon, le plus lu et traduit dans le monde. Poète de l’enfance et du merveilleux de la vie, poète panthéiste qui identifie Dieu et la nature, Maurice Carême est un auteur dont le style, simple à première vue, est un véritable bonheur. On découvre aussi en lui un précurseur d’une écriture poétique au service d’une philosophie de la nature, tant recherchée de nos jours.
La préface de Jacques De Decker
On ne dira jamais la dette que l’on doit aux premiers qui nous ont invités à la lecture, à cette opération magique de formulation du réel pour mieux l’élucider. De nos jours, Mrs Rawlings, la créatrice de Harry Potter, a réalisé l’exploit gigantesque, parce qu’apparemment anachronique, de passionner des millions et des millions de jeunes, parfois très jeunes lecteurs, avec le livre en un temps où l’on prétend que sa survie serait menacée. Il sera intéressant de voir ce que seront les retombées dans la société de demain de cette gigantesque absorption de mythes gothiques véhiculés par les exploits du petit magicien à lunettes et de ses camarades. Il n’est pas exclu que les aventures d’Harry Potter auront préservé nos futurs adultes d’un excès de matérialisme et les auront familiarisés avec la probabilité d’une réalité seconde.
Aussi étrange que cela puisse paraître, Maurice Carême est un écrivain de cette famille. Poète belge, brabançon wallon, wavrien plus précisément, installé dans sa maison blanche à lui dans l’un des faubourgs les plus célèbres de Bruxelles, mais davantage connu par son équipe de football que par le fait qu’Érasme y ait, quelque temps, séjourné, je veux parler d’Anderlecht, Maurice Carême est non seulement l’un des grands ambassadeurs de la langue française, mais l’un des rares poètes connus aux quatre coins du monde pour sa capacité d’initier les enfants à l’alchimie des mots. La simplicité de sa langue, ciselée au départ d’un vocabulaire élémentaire, d’une syntaxe cristalline, est le premier atout de cet enchanteur qui a appliqué généreusement le précepte de Lautréamont qui disait que la poésie devait être faite par tous et non par un.
Cette poésie a la grâce, vertu que tout poète, fût-ce malgré lui, voudrait conquérir tout en n’y parvenant que très rarement.
Chez Carême, on dirait que le charme agit continûment, comme chez ces poètes orientaux, artisans patients, artistes inspirés, qui nous font redécouvrir, par le seul pouvoir d’humbles vocables, des vérités de tous les âges.
J’ai eu le bonheur, très jeune, de très bien connaître Carême et c’est un des rares professionnels de la littérature qui m’ait appris des choses. C’était un artisan de la poésie. Il avait, par exemple, une formidable admiration pour Apollinaire et il aimait montrer des brouillons de poèmes d’Apollinaire où on voit quel est le travail qui finit par atteindre à la simplicité extrême et, lui-même, travaillait extrêmement ses textes, contrairement à ce qu’on pourrait penser.
Il procédait en trois temps : il avait une saison – c’était souvent à la fin du printemps, durant l’été et au début de l’automne – où il écrivait à l’extérieur, pratiquement à jets continus. Le reste de l’année, il retravaillait le résultat de cette moisson poétique. Enfin, il arrivait avec cette moisson retravaillée, qui était parfois composée de centaines de textes. Il les soumettait à quelques lecteurs. J’ai participé au comité de sélection de plusieurs de ses recueils et je me souviens qu’à l’époque, quelqu’un qui jouait le jeu avec lui était Liliane Wouters. Ce qu’il nous demandait était de mettre une, deux, trois étoiles ou même zéro sur les textes, puis il faisait tout simplement une statistique et conservait prioritairement ceux qui avaient été les plus appréciés par ses lecteurs – qui étaient plus des électeurs que des lecteurs !
Ce qui me fascinait également, c’était que les poèmes qui n’étaient pas retenus n’étaient pas, pour autant, perdus parce qu’il les conservait dans une espèce de registre où il les classait par définitions prosodiques. Il y avait donc les vers de six pieds, de huit pieds, de dix pieds… les différentes rimes… Ainsi, lorsqu’il mettait ses poèmes au point, il pouvait arriver que, dans un poème, deux tiers seulement soient recevables, et, avant d’écrire le tiers restant, il allait voir dans le registre s’il n’avait pas déjà écrit quelque chose qui aurait pu faire l’affaire. Cette manière de procéder m’a très fort frappé et imprégné parce qu’elle nous éloigne du mythe du poète inspiré, du mythe de cette espèce d’illumination qui serait à la base de l’écriture, en particulier poétique. En réalité, il n’y a là rien de neuf. Si l’on revient à la Renaissance, on sait ce que des gens comme du Bellay ont pu écrire sur la rhétorique de leur temps. De même, si l’on prend l’exemple du grand poète qu’est Paul Valéry, il était un théoricien qui concoctait des textes poétiques auxquels il voulait donner un maximum de densité à force de travail dans le but que l’on ne ressente plus que l’émotion et non le travail qu’ils avaient nécessité.
C’est un grand artisan que Carême ! En plus, il avait le souci d’être compris de tous, par l’enfant, par des lecteurs qui n’avaient pas une connaissance extrêmement aboutie de la langue française. C’est ce qui fait de lui l’un des poètes de langue française les plus traduits de tous les temps et, certainement, le poète belge le plus traduit. C’est une poésie de la simplicité, de la transparence et, en plus, son souci musical fait qu’il a inspiré de nombreux musiciens. Son écriture cherche une transparence par rapport à l’image, mais c’est une transparence tout à fait trompeuse parce qu’il y a une rigueur d’écriture, une exigence de forme. Il donne l’impression d’être un imagier, an imagist, comme disent les Anglais.
Jacques De Decker, 29 octobre 2011.
Texte issu de » La Marge et contre-marge » que Jacques De Decker tenait au micro de Jean Jauniaux. L’enregistrement complet est disponible sur le site : http://www.espace-livres.be/Careme-cet-initiateur