Ecoutez Jean-Christophe YU au micro d’Edmond Morrel
Voici un documentaire à ne manquer sous aucun prétexte. « Sur la piste de Yu Bin » est une émouvante et remarquable exploration de la mémoire familiale et individuelle de son réalisateur Jean-Christophe Yu. Il y fait l’éclatante démonstration de l’universalité des destins humains lorsqu’ils sont racontés avec talent, poésie et sincérité. Dans ce long métrage documentaire, constitué pour l’essentiel d’images d’archives et d’un récit en voix off, Jean-Christophe Yu nous raconte le destin singulier de son grand-père paternel (Yu Bin) venu en Europe en 1919, obligé de retourner en Chine en 1927, laissant derrière lui sa compagne et leur enfant, le père du réalisateur, Georges Yu. A partir de cette histoire familiale hors du commun, Jean-Christophe Yu déroule et entrelace ce qu’il connaît (ou reconstitue) de la vie de ce grand père, de la longue relation épistolaire qu’il a maintenue jusqu’à sa mort avec sa famille restée en Europe, avec l’Histoire de la Chine vue à travers les yeux, les convictions et les illusions de la génération de Georges Yu.
Le cinéaste réussit admirablement à mettre en abyme les récits de chaque génération, à en dévoiler les liens intimes (à l’image de ce long travelling de la mémoire dont les images surviennent comme autant de titres de chapitres). Sans doute y parvient-il avec autant de sincérité et de sensibilité parce qu’il est lui-même un des maillons de cette chaîne générationnelle. A la recherche d’un père à qui il rend ainsi un hommage exceptionnel , il témoigne de l’attachement indéfectible entre les pères et les fils de cette lignée, attachement préservé pour la génération de son père et de son grand-père, par une correspondance épistolaire dont le cinéaste met en évidence la singularité, la pudeur, les non-dits.
Le spectateur n’oubliera pas de sitôt l’image qui ouvre le film, séquence en noir et blanc du garçonnet et de sa petite soeur dans une rue de Liège, rentrant chez eux et débutant ainsi ce qui deviendra pour le garçon, quarante ans plus tard, « la piste de Yu Bin »Jean-Christophe Yu a aussi réussi la gageure, à travers un film intimiste, à raconter l’histoire de la Chine, des engagements d’une génération dans le rêve humaniste dont elle n’était, hélas, qu’un miroir aux alouette (mais cela nous pouvons le dire maintenant, à l’époque l’utopie submergeait les coeurs).
En filigrane, le portrait du réalisateur et comédien Georges Yu, père de Jean-Christophe nous rappelle qu’il a été l’ami de Joris Ivens, comédien pour Jean Renoir, réalisateur à la télévision belge, mais surtout un père exceptionnel qui a enseigné à un fils l’art de cultiver ses racines et d’honorer la mémoire de ceux qui l’ont précédés.
Edmond Morrel
Le film « Sur la piste de Yu Bin » sera diffusé sur La Trois(Chaîne belge francophone) le 20 août 2015 à 21 heures.
Il sera suivi par la diffusion d’un documentaire sur Liège réalisé dans les années septante par Georges Yu.
Sur le site de La Trois :
Le cinéaste remonte la piste de Yu Bin, son grand père immigré en Belgique dans les années 20 puis reparti en Chine, laissant ici une famille (dont son fils Georges, devenu réalisateur à la RTBF). Il relate le sort des jeunes étudiants chinois installés en Europe au cours des années 20-30 et brasse les conflits idéologiques qui donneront naissance au nationalisme et au communisme chinois. Ce combat fut aussi celui de Yu Bin dont il retrouve les traces, en Belgique ou en France. A l’aide d’archives familiales inédites, s’élabore ainsi une saga familiale aux prises avec les soubresauts de l’Histoire des années d’avant 2e guerre mondiale, puis avec celle de la Chine d’après révolution.Yu Bin finira balayé par les purges liées au Grand Bond en avant et à la Révolution culturelle.