« Le voyage du fils » d’Olivier Poivre d’Arvor
Le roman d’Olivier Poivre d’Arvor, « Le voyage du fils », offre de multiples et authentiques bonheurs de lecture. En voici trois qui ont fait l’objet de l’entretien que m’a accordé Olivier Poivre d’Arvor : la construction du récit, les personnages, et le style ou plutôt les différents styles d’écriture.
Ce roman échappe au carcan des auto-fictions et du navrant nombrilisme de plusieurs romans de la rentrée. Il raconte !
Le roman devient ainsi le seul langage qui permet de s’emparer de la réalité, d’une réalité comme celle de la disparition d’un amour, de la mort d’une mère et de la misère matérielle qui conduit une femme désespérée à se jeter par la fenêtre.
Le style Olivier Poivre d’Arvor, par mimétisme (inconscient ?), s’abandonne à la liberté formelle d’une Duras pour les chapitres dont la narratrice est Anne Latour…ou à la ligne claire de Camus dans « L’étranger » pour les chapitres vus à travers les yeux du jeune Chinois. Et cela donne des phrases terribles qui glacent le lecteur dans la commisération, la pitié et l’incompréhension.
« Maman a donc désormais ses papiers », se dit le jeune chinois au moment de signer à la Préfecture de Police la décharge pour ses effets personnels, un maigre sac en plastique contenant quelques vêtements…Et par ces quelques mots, cette phrase courte et banale, toute la détresse misérable des sans-papier vous saute à la gorge.
Chaque chapitre est identifié par des vers extraits de poésie chinoise, comme s’ils venaient projeter un peu de lumière, un peu d’humanité sur le monde :
« Jusqu’à m’étourdir, j’ai suivi la lune », « Par erreur je suis tombée dans les filets de la poussière du monde », « Et les larmes lui coulent comme des rangées de perles »…En parallèle ou en écho à ces « perles », surgissent ça et là des prières boudhistes lues par le jeune chinois ou le refrain d’une chanson d’Edith Piaf, enfant trouvée sur un trottoir de Belleville…
Voici un roman indispensable qui redonne à la littérature une de ses fonctions essentielles et qui n’appartient qu’à elle : prendre conscience par l’émotion de la réalité des êtres, de la complexité de leurs émotions et de la détresse dans laquelle ils sont aspirés.
Voici un livre dont les résonances ne s’éteignent pas lorsqu’on en achève la lecture…d’autant plus qu’à la dernière ligne, il redonne à considérer tout ce qu’on vient de lire, en redistribuant les cartes en quelque sorte, simplement en dévoilant les invisibles liens entre les êtres et les destins.
On saisit alors la signification de l’ épigraphe de Marguerite Duras qui intriguait au moment d’ouvrir le livre : « Ecrire, c’est se taire, c’est hurler sans bruit »…
Edmond Morrel