« Revenir de loin » de Marie Laberge

Le roman de Marie Laberge, « Revenir de loin » est publié aux Editions Boréal

On ne l’a encore vue ou entendue dans aucune émission ou publication en Europe, et pourtant elle est l’une des romancières francophones à avoir le plus touché de lecteurs de ce côté de l’Atlantique, alors qu’elle vit à Montréal. Les chiffres sont troublants, on l’admettra : en poche, dans la collection Pocket, se sont vendus quelque quatre cents mille exemplaires de la trilogie « Le goût du bonheur », qui est un des livres les plus plébiscités ce ces dernières années.

Mais alors que Catherine Pancol, quoi qu’elle soit allé vivre aux Etats-Unis, est omniprésente dans les médias français, Marie Laberge, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, n’y apparaît pour ainsi dire pas. Elle est la belle inconnue du roman contemporain, comme si elle écrivait dans une langue des moins répandues, et se confinait sur une île hors du monde que l’on disait civilisé.

Les choses ne vont pas s’arranger avec son dernier. Il est, depuis des mois, en tête des ventes au Québec, et ne peut s’acquérir chez nous que par le mode moderne de se procurer des livres, à savoir Internet. Or, « Revenir de loin » est un roman dont, pour avoir recours à une expression rabâchée, on ne sort pas intact. C’est plus qu’une expérience littéraire, mais il s’éprouve comme une émotion personnelle, comme la plongée dans un drame humain singulier, et extraordinairement partageable. Il fonctionne comme une réelle tragédie, dont on sait qu’elle avait pour fonction la catharsis, une manière d’avoir raison des écueils et des périls de la condition humaine, pour pouvoir aller plus avant.
Une femme, Yolande, sort du coma après un accident de voiture, frappée d’amnésie. Elle se doit de reconstituer son identité et sa destinée, et elle y parvient, mais au prix de révélations successives, pour elle comme pour nous, qui sont comme autant d’étapes dans la traversée à risque qu’est une existence. Elle, éclopée de la mémoire, ne trouve pour premier allié dans sa quête qu’un jeune handicapé qui, à sa différence, ne parle que le joual, une langue d’une immense saveur mais qui ne va pas sans obscurité pour les francophones standardisés que nous sommes. Elle, par contre, est une correctrice, qui ne jure que par le bon usage. Leur dialogue est comme le duo d’un clavecin et d’une cornemuse, mais produit, au fil de la lecture, une émotion intense : jamais on n’a, par l’usage, mieux illustré l’apprivoisement mutuel de deux êtres blessés.

Laberge ne les laisse pas au bord du chemin : elle montre comment l’un et l’autre vont accéder à une forme de salut, mais au prix de quels efforts, et de quelle générosité réciproque. Le livre n’a rien de bénisseur cependant : il fustige au passage bien des égoïsmes et des aveuglements. Car Laberge est, quoi qu’elle s’en défende, une romancière moraliste. C’est ce qui donne à ses livres, et en particulier à celui-ci, une dimension éthique évidente, et si peu présente dans l’exercice présent de la littérature. Son succès, elle ne le doit pas à des formules ressassées qui bercent le lecteur, mais à cette vigilance qu’elle impose par sa grâce de conteuse, et son inépuisable curiosité du cœur humain.

Un grand écrivain de ce temps, rare, unique en son genre, qui se fait, même en Europe, le plus authentique des publics, celui de toutes celles et ceux qui attendent de la lecture un peu de clarté sur l’énigme d’exister.

Jacques De Decker

Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes

Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69

Référence : NAXOS 8.572530