C’est un récit et non un roman auquel nous invite Yves Wellens. Pourtant, l’universalité à laquelle l’enfance du personnage central conduit le lecteur est de l’ordre du romanesque.
Celui-ci, Jean, qu’on appelle Jean-Jean, reçoit le surnom de « Je » à cause de son bégaiement, ce qui nous vaut une désarçonnante construction grammaticale où le « JE » se conjugue à la troisième personne du singulier, créant ainsi une nouvelle distance, romanesque elle aussi, entre le narrateur et son personnage.
Sec dans la phrase, précis dans le choix des mots, froid dans l’expression ce compte rendu d’une enfance brisée – par les traumatismes que sont l’alcoolisme du père et le décès d’une petite soeur – nous touche bien davantage que ne l’aurait fait un excès de lyrisme. C’est peut-être pour cela que l’éditeur Xavier Van Vaerenbergh a choisi l’intitulé « récit » au lieu de roman. Paradoxalement, l’un et l’autre, l’éditeur et l’auteur, ont eu raison : l’émotion est là, qui s’emparera peut-être avec davantage de force pour celles et ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, sont nés au début des années 50 dans une Belgique à laquelle tous les rêves semblaient promis après qu’elle fut sortie exsangue de la guerre. L’exposition universelle, les victoires cyclistes, les visites de l’aérodrome de Zaventem nous consolaient du chagrin des Belges… Et, pour ce qui est de Wellens, l’écriture lui donnait la reconnaissance d’un professeur attentif et la naissance d’une vocation qui s’est ensuite confirmée de livre en livre, celui-ci n’étant pas des moindres…
Deux illustrations et le dessin de couverture, signées de Noam Van Cutsem, fils de l’écrivain, témoignent d’une légitime filiation entre les deux visions de ces épisodes. Dessin crayonné montrant le père à l’âge où il était enfant, attendant sur le seuil d’un pub auquel il n’a pas accès, et étrange horloge qui surplombe une bouteille … Ces dessins sont signés Noam Van Cutsem, un nom à retenir d’un artiste qui , à n’en pas douter, n’utilisera pas de pseudonyme…
Nous avons rencontré Yves Wellens à Bruxelles le 20 mars 2015.
Edmond Morrel
Bruxelles, années soixante. Dans le chaos et la violence d’une enfance manquée, entre un père alcoolique et le spectre d’une sœur disparue, Je devient écrivain. Comme une sortie à l’air libre. Comme une nouvelle ligne de vie à lire sur sa main.
Pourquoi construit-on une œuvre ? Quel temps veut-on faire revenir par-là ? Ici, il s’agit de dire sur quoi mon œuvre ne pouvait surtout pas être bâtie : contre quoi elle devait être construite.