Florence Noiville est écrivain.
Beaucoup pensent qu’elle est journaliste et critique littéraire, spécialiste de littérature étrangère contemporaine au journal « Le Monde ».
Ils se trompent. A plusieurs reprises elle l’a démontré en publiant trois romans chez Stock, un récit biographique consacré à Isaac B. Singer et deux recueils de portraits d’écrivains « So British » (Gallimard) et « Literary Miniatures » (Seagull Books). C’est à propos de ce dernier ouvrage, composé de portraits initialement publiés dans Le Monde, puis édités outre-Atlantique, et enfin revenus vers nous dans leur version originale sous la couverture des Éditions Autrement, que nous sommes allés à la rencontre de celle qui n’a pas choisi par hasard le titre de son livre, même si elle l’a emprunté à un de ses modèles : « Écrire c’est comme l’amour ». A l’enchantement de la lecture s’est ajouté celui de la rencontre avec celle dont nous allons essayer de faire le portrait…
Comme avant chacune de mes rencontres avec l’auteur d’un livre, même si j’ai lu et relu l’ouvrage qui me vaut de le/la rencontrer, je ne cesse de couvrir de notes les feuillets de mon cahier Atoma (un brevet belge a été déposé en 1948 pour protéger l’invention de ces cahiers aux pages amovibles), de les déplacer à l’intérieur du cahier, de les raturer, de les surcharger de projets de questions, de schéma conducteur de l’entretien, tout en feuilletant le livre, dont m’envahit l’angoissante sensation d’en avoir tout oublié. J’ai profité d’un séjour à Paris pour programmer cet entretien, m’inscrivant ainsi inconsciemment dans la démarche que Florence Noiville a choisie pour réaliser de ses interlocuteurs un « portrait qui n’est ni factuel ni « people » mais (qui) cherche à éclairer l’émotion première – angoisse, déchirement, frustration, interrogation, colère, fantasme…-, bref , l’obsession qui constitue la force motrice de tout processus créatif, cette force autour de laquelle se noue le dialogue entre l’homme et l’œuvre (…) »
Assis à la terrasse d’un restaurant italien , dont le garçon a reçu pour consigne d’orner chacune de ses phrases d’un ou deux mots chantés dans la langue de Dario Fo (un des portraits littéraires du livre qui me nargue sur la nappe en papier inondée d’eau de San Pelegrino, « Perdone, Monsieur, perdone »), j’essaie de me convaincre que je suis prêt à aller au rendez-vous fixé à une centaine de mètres de là où je me trouve, le centre Wallonie Bruxelles, face à Beaubourg. Bien sûr, j’avais la veille demandé à disposer d’un bureau calme et silencieux, ne voulant être parasité par rien qui me distrairait des dizaines de questions qui continuaient de m’assaillir sans discontinuer , et qui surgiront, je l’espère, lors du face à face.
A l’heure fixée moins dix minutes, j’entre dans la librairie du Centre Wallonie Bruxelles, me présente et m’inquiète de l’endroit réservé pour l’enregistrement. Bien entendu, personne ne semble au courant de cette réservation. J’en oublie toutes mes questions, feuillets Atoma, paperolles et autres post-ists pour clarifier au plus vite le problème. Apparaît alors mon auteure, le regard dissimulé derrière de grandes lunettes noires . Nous nous embrassons (c’est toujours préférable à se serrer la main et puis je suis belge, en Belgique on fait la bise ), elle m’offre un exemplaire du Monde (« Il vient de sortir de presse »), j’essaie de dissimuler la désorganisation qui me hante, je songe à un autre passage de la préface de son livre (« Parfois, une fois au pied du mur, lorsque je me trouvais face à l’écrivain, j’étais toujours envahie par la timidité. Toutes les questions qui me venaient à l’esprit me paraissaient stupides ou dérisoires. » ), je me rassure enfin en voyant arriver Pierre Vanderstappen qui avait organisé l’hébergement de l’interview. « Je vous ai réservé une loge » confirme-t-il.
Nous nous retrouvons dans une loge équipée de tout le confort nécessaire aux artistes (lavabos, boissons, grands miroirs de maquillage, frigo etc). Je dépose mon cahier Atoma sur le rebord d’un lavabo, allume mon micro (« Ai-je bien remplacé les piles ? » est une question muette qui agrémente souvent cet instant-là…) et m’entends articuler la première question qui m’a bien surpris (elle ne figurait nulle part dans mes notes), : « Florence Noiville, la préface du roman « Pierre et Jean » de Maupassant est une formidable master class pour les apprentis romanciers, j’ai eu le sentiment qu’il en allait de même en ce qui cncerne la préface de vos portarits littéraires : une master class pour ceux qui aimeraient, comme vous le faites si bien, dénouer l’enigme de l’écriture romanesque… »
Quarante minutes plus tard, l’entretien s’achève que vous allez écouter ici.
Nous nous rendons compte que nous sommes enfermés dans l’espace cinéma du centre Wallonie Bruxelles dont nous délivre un sémillant opérateur, jailli de l’écran comme dans un film de Woody Allen. Nous nous attardons dans la salle d’exposition et dans la lumière des toiles de Paul Delvaux, nous prenons congé, non sans avoir fixé le prochain rendez-vous, à Bruxelles cette fois, au Palais des Académies.
L’invitée de la rencontre que j’animerai le 19 décembre (notez la date… 18h Palais des Académies ) dans le cadre de PEN Belgique sera Florence Noiville, à qui je pourrai poser toutes ces questions qui attendent encore dans l’encombrement de mon cahier Atoma, à propos des écrivains que ce livre nous donne une stimulante envie de lire, toutes affaires cessantes.
Florence Noiville est écrivain. Lorsqu’elle parle de ses pairs, elle nous donne par le miracle ciselé de portraits dessinés avec le coeur, l’envie irrésistible de les découvrir, lire ou relire. Ce livre-bibliothèque qu’elle nous donne aujourd’hui, nous ouvre à la confiante intimité des plus grands écrivains qu’elle a réussi à conquérir et qu’elle partage avec passion et gourmandise.
Edmond Morrel, Bruxelles, le 15 septembre 2016