« Pour en finir joyeusement avec l’année » : le dictionnaire amoureux de l’humour de Jean-Loup Chiflet

Pour en finir joyeusement avec l’année

IL y a des livres –précisons qu’ils sont rares – dont on a envie de dire : achetez-le, empruntez-le, volez-le par ces temps de grande nécessité, et reparlons-en quand vous l’aurez lu. Il est probable que le colloque en question pourrait se faire attendre, parce qu’une fois entré dans l’ouvrage, par n’importe quelle porte, et elles sont innombrables, on n’a plus envie d’en sortir. De plus, qui se procurera ce livre n’aura de cesse de rééditer son acquisition, pour en faire profiter ses amis, dans la certitude que cela garantira quelques rencontres plaisantes, qui ne seront plus confisquées par les jérémiades sur l’état de l’euro, le degré d’incompétence de nos gouvernants ou la rage des homosexuels qui veulent à tout prix s’exposer aux affres de la conjugalité. A moins que les médias et les pouvoirs préfèrent parler des revendications des aspirants au mariage unisex que de la plainte des humiliés et offensés plus démunis qu’au temps de Dostoievski.

La merveille en question ? Le maître-achat par ces temps de festivités obligatoires proches, de Saint Nicolas à l’Epiphanie, à savoir ce « Dictionnaire amoureux de l’humour » dont on ne peut que rendre grâce à Jean-Loup Chiflet d’être arrivé à le mener à bonne fin. Car le grand défi de l’entreprise est là : étudier, inventorier, synthétiser une matière que l’on croit incompatible avec l’esprit de sérieux. Alors qu’il s’agit du contraire : l’humour ridiculise le sérieux, l’envoie se faire voir ailleurs, et rend au rire ce qui revient au rire, la place centrale dans nos vies, ce qui nous aide à les subir et même, comme de savants médecins le professent, à les prolonger.

Qui est ce Jean-Loup Chiflet ? Un écrivain clandestin qui a pourtant une soixantaine de titres au compteur. Alors, comment se fait-il qu’il ait échappé aux radars de la notoriété littéraire ? Parce que ses titres sont si réussis qu’ils éclipsent leur auteur : « La théière de Chardin », « L’almaniaque de la France profonde », « La Khoménie du pouvoir » et puis, paru en 1985, « Sky my husband », plaisanterie qui est devenue la méthode d’anglais la plus prisés des candidats polyglottes, et de leurs correspondants d’outre-Manche qui se sont mis à apprendre le français au moyen du même agglomérat de calques et de faux-amis. Responsable d’autres attentats contre la morosité régnante comme « Le dictionnaire des mots qui n’existent pas » la machine de guerre contre l’addiction au ballon rond « Rien à foot » (commis avec la complicité de Cabu) ou « Wit spirit » qui témoigne d’une même prédilection pour l’humour anglo-saxon, Jean-Loup Chiflet qui, comme éditeur, s’est mis à son compte à l’enseigne de « Chiflet et compagnie », a une quantité monumentale de tours dans son sac.

Il était, de ce fait, l’homme providentiel à qui Jean-Claude Simoën, l’inventeur et l’entraîneur de la collection des « Dictionnaires amoureux » se devait de commander celui de l’humour. Le résultat, répétons-le, défie le résumé, le commentaire et la critique. Il est bourré jusqu’à la gueule de jeux de mots et d’idées tous sélectionnés dans le peloton de têtes des vrais amuseurs, qui ne sont pas ces débiteurs d’âneries auxquels les médias nous condamnent, mais de vrais aventuriers de l’esprit qui savent qu’on n’échappe pas plus dignement à la condition humaine qu’en s’en gaussant. Et parmi ces hardis serviteurs du non-sens qui est souvent du sur-sens, les Belges répondent présents plus souvent qu’à leur tour, ce dont Chiflet, pas cocardier pour un sou, convient parfaitement, nous glissant subtilement aux pieds les pantoufles du chauvinisme imbécile.

Jacques De Decker, 20 novembre 2012.

https://open.spotify.com/episode/264KCgUbtmpriZA0a1nszO

Edmond Morrel a rencontré Jean-Loup Chiflet pour « espace-livres.be ». Vous pouvez prolonger la Marge et la Contre-Marge en écoutant cet entretien.

Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes

Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69

Référence : NAXOS 8.572530