Il faut se rendre à l’évidence : le plus grand écrivain belge de l’heure est flamand. Il s’appelle – est-il encore utile de le préciser ?- Tom Lanoye. Et il doit ce titre à la plus évidente des qualités : il a un talent fou, et tout pour être tenu un jour pour un géant des lettres.
D’abord, il y a l’ampleur de sa présence sur les scènes, sur les écrans, sur les étals des libraires. Au théâtre, il donne l’impression d’être partout. Cet été, sa pièce sur Gilles de Rais était montée par un autre Flamand de haut lignage, Guy Cassiers, dans la cour du Palais des Papes. Ce ne fut pas, dans la presse française, le triomphe, mais l’événement fut suffisamment répercuté pour frapper les esprits. Toujours dans le registre du théâtre, mais cette fois les surtitres sont en néerlandais (à l’inverse de ce qui s’est passé en Avignon), on peut voir depuis cette semaine sa pièce « Mamma Medea » d’après Euripide, jouée par le Rideau de Bruxelles non pas au Palais des Beaux-Arts qui a abrité la compagnie depuis bientôt septante ans, mais dans un centre culturel flamand à Schaerbeek, De Kriekelaar, et une mise en scène d’un coming-man du théâtre francophone, Christophe Sermet. Le symbole, dans une Belgique qui est train de se reconstituer, ne manque pas de sel.
Mais surtout, après quelques représentations au KVS, à savoir le théâtre royal flamand de Bruxelles, Lanoye en personne sillonne la Flandre avec un one-man-show inspiré de son roman « Sprakeloos », qui a paru à la Différence sous le titre « La langue de ma mère » dans la version française d’Alain van Crugten, traducteur attitré de Lanoye comme il fut celui du « Chagrin des Belges » de Hugo Claus. Le spectacle est une démonstration stupéfiante de présence scénique : Lanoye, durant presque trois heures, donne voix et corps à son roman, drôlatique et tragique, hommage flamboyant à sa mère, comédienne amateur qu’un accident cérébral priva de l’usage du langage.
Mais ce n’est pas tout : tandis que Lanoye brûle les planches, la télévision flamande diffuse, et ce pendant dix semaines, l’adaptation de son roman « Het goddelijke monster », qui pourrait s’appeler « Le divin monstre » quand il paraîtra en français (Gallimard y songe). C’est le portrait-charge au vitriol d’une société flamande représentative de la dégénérescence politique qui ébranle actuellement l’Europe sur ses bases. Lanoye y dissèque au scalpel une communauté repue et vérolée par le virus nationaliste. Il y retrouve son imparable lucidité de pamphlétaire, dont ses dévastateurs éditoriaux dans l’hebdomadaire Humo, il y a quelques années, avaient donné quelques mémorables échantillons.
Lanoye ? Un décathlonien de la culture, une machine de guerre qui propulse ses fusées porteuses dans toutes les directions, et dont le premier carburant pourrait bien être le génie.
Jacques De Decker
(enregistré le 11 octobre 2011)
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530