Certains livres entrent dans votre vie par hasard, sans que vous en ayez rien lu ni entendu, sans que vous en sachiez rien. Ce fut le cas pour moi en ce qui concerne « Les profonds chemins ». Lors d’une soirée littéraire, Françoise Houdart présentait son avant-dernier roman en compagnie de deux autres écrivains.
Ce qu’elle en a dit, mais surtout l’énergie avec laquelle elle en a parlé m’ont littéralement hypnotisé. Il était question d’un peintre, Victor Regnart, originaire d’un village de Wallonie qu’il n’a pratiquement jamais quitté, Elouges, et dont la vie s’est cantonnée dans l’exercice de son art et son enseignement à l’Académie de Mons. C’est cela que le roman va nous raconter ? Oui, mais c’est un roman. Houdart utilise toutes les ressources de la fiction pour nous emmener dans la vie mais aussi dans l’inspiration du peintre, pour envisager les hypothèses les plus plausibles concernant la part secrète de sa vie : un séjour à Paris à l’époque où s’y trouvaient aussi Picasso et Hemingway, un deuxième Prix de Rome qu’il n’a pas exploité pour partir à l’étranger (quelles raisons l’ont poussé à rester dans ce petit village minier d’Elouges ?), son amour et son mariage avec sa cousine germaine Marie (mariage qui impliquait de ne jamais avoir d’enfant), son obstination à peindre les « courettes » auxquelles son oeuvre est exclusivement rattachée dans l’esprit des critiques (qui escamotent ainsi tout sa production de nus, de paysages, de natures mortes…) ? Ce sont tous ces chemins-là que la romancière va explorer. Elle mène l’enquête en convoquant les témoignages posthumes des modèles auxquels elle donne la parole, en invitant même Victor Regnart à s’expliquer. Au bout de ce livre, qui se lit d’une traite, vous envahit la sensation que seuls créent les grands romans : celle d’entrer dans un univers issu à la fois du réel et de l’imaginaire, des paysages et de l’écriture, de la vie et du style. C’est aussi un roman qui donne envie d’y aller voir. ce que nous avons fait en allant rencontrer Françoise Houdart à Elouges. le rendez-vous est pris dans le Musée Victor Regnart, installé dans la maison communale désaffectée. Là, la romancière nous commente chacune des oeuvres. Nous enregistrons ce qu’elle nous dit de « Caroline » , de « Deuil borain » (parmi d’autres tableaux majeurs), de la palette de l’artiste, des gravures et bien sûr des « courettes ».
Puis nous l’accompagnons chez une des petites nièces de l’artiste dont les murs de la maison sont littéralement recouverts d’oeuvres de Regnart. Nous avons là interrogé Houdart sur l’écriture de ce roman atypique qui vient d’être couronné du prestigieux Prix Charles Plisnier. Profitez de ces jours d’hiver et de fin d’année pour lire « Les Profonds chemins ». Vous inscrirez à n’en pas douter le nom de Victor Regnart parmi les personnages à la fois énigmatiques et attachants que seul le roman peut nous donner à connaître, ou, en tous cas, nous en procurer l’illusion. Peut-être, ensuite, vos pas vous conduiront un jour à Elouges, au Musée Georges Mulpas où une salle réunit les oeuvres majeures du peintre, tandis qu’un époustouflant musée de la vie quotidienne au siècle dernier occupe un autre espace du bâtiment, à côté de la reconstitution d’une salle de classe…celle où Victor Regnart, écolier, dessinait sans doute déjà en regardant les terrils.
Ecoutez ces deux entretiens avec Françoise Houdart : l’un dans le musée Regnart à propos du peintre, l’autre chez la petite nièce de l’artiste, à propos de l’écriture de son roman.
Un roman profond, comme les chemins dont le titre est fait.
Edmond Morrel, à Elouges le 18 décembre 2014
Pour compléter la découverte du roman, voici quelques pistes sur internet :
le site de l’éditeur Luce Wilquin