Rencontre avec Alain Lallemand

au micro d’Edmond Morrel

A l’occasion de la parution de son dernier roman en date, nous avons rencontré, par écrans et « zoom » interposés, l’auteur et journaliste Alain Lallemand. Il nous a semblé intéressant d’interroger celui qui fut grand reporter, correspondant de guerre, créateur de réseaux de journalisme d’investigation, sur la démarche qui conduit de l’écriture journalistique (qu’il enseigne par ailleurs à l’Université de Louvain La Neuve, en Belgique), du « journalisme narratif » à l’écriture de fiction, à la narration romanesque. Lallemand n’en est pas, avec ce livre, à son coup d’essai. Il s’était déjà aventuré dans un premier récit littéraire, « N’oubliez pas le guide » paru en 2006. Alain Lallemand décrit cette première incursion en littérature : « Présenté à l’origine comme un « roman », ce texte est en réalité un récit autobiographique, construit autour de mes guides successifs en Irak, en Afghanistan, en Colombie et au Liberia. Il a été écrit au moment des prises d’otages de journalistes et de leurs guides en Irak. Le personnage du guide, Muhammad Aldin, est authentique et a effectivement été abattu en mai 2004 au sud de Bagdad. »

Dans ce récit « qui s’achève en roman » nous dira Alain Lallemand, le conteur rend hommage aux « pisteurs », ces guides et interprètes qui sur le terrain accompagnent les reporters. Dans son deuxième roman, « La femme héroïne », la ligne de démarcation entre journalisme et roman devient plus sinueuse , plus organique. L’auteur s’en explique dans la présentation de ce qu’il nomme un « romanquête » « Tous les faits connus sont scrupuleusement respectés. Les victimes réelles tiennent leur propre rôle : la Belge Hélène De Beir, le Néerlandais Pim Kwint, le Norvégien Egyl Tynaes. Tous les fragments de l’intrigue, les cartes des trafics, les rôles secondaires sont réels. Je ne me suis octroyé que deux libertés : celle d’assembler ce kaléidoscope, puis de laisser courir une plume qui transmette toute la passion amoureuse que mérite l’Afghanistan. »

Avec « Ma plus belle déclaration de guerre », le roman, l’attitude romanesque prend le dessus. On n’en voudra pour preuve que ce qu’en dit la troisième de couverture de ce livre malheureusement épuisé (l’éditrice Luce Wilquin ayant cessé ses activités éditoriales) « Roman d’amour et d’aventure, roman filial, Ma plus belle déclaration de guerre vous emmène des déserts et caches troglodytiques du Sud afghan aux sommets enneigés de l’Hindu Kush, des forêts impénétrables du Pakistan tribal aux pics vertigineux des Alpes suisses en passant par les eaux lumineuses du Golfe d’Aden. Pour y explorer une question brûlante : comment relever périls lointains et défis intimes, être à la fois père attentif et digne citoyen de l’univers? »

Avec « Et dans la jungle , Dieu dansait » (qui vient d’être réédité au livre de Poche »), Lallemand explore son univers romanesque dans les territoires de la drogue en Colombie.

Quant à « L’homme qui dépeuplait les collines » il donne le sentiment au lecteur, qui ne lâche pas le livre avant la dernière ligne du roman, d’observer l’aboutissement d’un apprentissage, la mise en place réussie des outils de la narration romanesque: personnages, espaces, temps, s’entrelacent dans un mouvement kaléidoscopique maîtrisé par le journaliste devenu romancier. L’écriture s’inscrit dans la dynamique narrative; les personnages affrontent la complexité qui les rend vrais; les quêtes menées par le héros central de ce récit initiatique, Lucas, sont menées au rythme des dévoilements successifs de la réalité de l’Afrique exploitée, avilie, pillée. Et puis, il y a l’empathie profonde que peut se permettre le romancier et dans laquelle il enveloppe le lecteur dans des scènes bouleversantes comme celles décrivant la misère des petits orpailleurs, plongés dans des tunnels creusés sans précautions dans les gisements aurifères de la région des Grands Lacs. Il y a là des scènes déchirantes, où la littérature apporte à l’écriture ce que le journalisme ne se permet pas: l’émotion indignée.

Il reste aussi une belle part de « documentaire », mais si bien intégrée au roman qu’elle se savoure avec la curiosité que nous avons tous d’être là où cela se passe: les salles de rédaction du journal Le Soir, les archives souterraines de ce même journal plus que centenaire, les réunions des rédaction du consortium des journalistes d’investigation et la fièvre de démêler dans les fuites, les « leaks », le vrai du faux…

Sans doute est-ce dans l’organisation de cet univers romanesque, fait de réel, mais surtout de plausible et d’imaginaire, que la complexité du monde trouve un vrai miroir, celui, comme le disait Stendhal, que le romancier promène au long du chemin.

Plongez-vous toutes affaires cessantes dans ce roman, et ouvrez toutes les fenêtres qu’il nous ouvre sur la réalité du monde, éclairée par un regard sensible et une plume plongée dans l’encrier du coeur.

Jean Jauniaux, le 11 août 2020.

Sur le site d’Alain Lallemand

A propos du roman « L’homme qui dépeuplait les collines »

La quête au long cours d’un groupe de journalistes internationaux à la recherche de minerais précieux et d’informations. En or.

Ce jour-là, au siège de Mediapart, dans une impasse du XIIe arrondissement de Paris, c’est l’effervescence : soixante millions de documents confidentiels viennent de fuiter. Un leak à l’échelle mondiale. Pour l’essentiel, des données bancaires, dans toutes les langues, mettent au jour la corruption de l’Afrique. Anciennes nations coloniales, la Belgique et la France sont directement concernées. Une seule obsession pour l’équipe : vérifier les infos, puis publier. Au même moment, dans le maquis de Kipupu, à l’est de la République démocratique du Congo, un gamin laisse derrière lui la mine de Kadumwa et court, le cœur battant, vers un camp de combattants rebelles. Dans sa poche, un diamant. Une autre bombe à retardement.

L’homme qui dépeuplait les collines est le premier roman d’Alain Lallemand publié en France. Emmenant notre imaginaire entre l’est du Congo et l’Ouest de l’Europe, il  poursuit la description d’un monde contaminé par les conflits, où l’humanité devient un mode de résistance.

JC Lattès, Paris, mars 2020, 352 p.